Passager clandestin


Suspens!

Passager clandestin

Traversée entre la Tunisie et La Sardaigne. Il est midi. Je m’apprête à sortir du carré. Patrice, assis dans le cockpit, me fait signe de ne pas bouger et de ne rien dire. Je ne comprends pas ce qui se passe et décide de monter, très lentement. Sur mes gardes, je regarde à gauche, à droite - et là, devant moi, que vois-je ? IL est là, assis à la place du barreur ! Mais d’où, et quand est-il donc arrivé ? Le pilote automatique étant enclenché, il jette un regard intrigué sur le va-et-vient de la barre. Peureux et effrayé, il nous observe et suit chacun de nos gestes. Il ne parle pas…Nous n’osons pas bouger. Il a l’air épuisé et le roulis du bateau lui fait perdre l’équilibre.
Comment agir pour lui faire comprendre que nous ne lui voulons pas de mal, que nous sommes prêts pour l’aider ? Que faire ? C’est ça : Lui donner à boire et à manger ! Ne connaissant pas sa réaction, je dépose - toujours sur mes gardes - de la nourriture et de l’eau au pied du mat d’artimon, et m’assieds dans le cockpit. Sans le quitter du regard, il surveille Patrice qui réussit à descendre dans le carré.
Le temps passe ! Deux heures plus tard, le passager se promène, presque décontracté, sur le pont avant, puis sur l’arrière du bateau, inspectant chaque coin, chaque objet. Il revient, nous scrute encore, et mange finalement ce que je lui ai préparé. Très fatigué, les paupières lourdes, il est à deux doigts de fermer les yeux – mais il les rouvre aussitôt en sursautant au moindre bruit auquel il n’est pas habitué, comme le génois qui, par manque de vent, claque lamentablement au passage de chaque vague. Ne sachant pas comment le passager réagirait au bruit du winch, la manivelle en main, nous n’osons pas bouger pour le border ou l’enrouler…
16 heures : De plus en plus à l’aise, le passager nous « permet » à présent de nous déplacer plus aisément, mais toujours sans nous quitter des yeux. Il semble avoir pris confiance. En plus, il se comporte avec un certain culot, passe devant, derrière nous, comme s’il était chez lui. Il nous fait comprendre que sa faim n’est pas encore rassasiée, et le fromage que Patrice lui offre est aussitôt englouti. Le voilà qui vient tout près moi. Il regarde avec un œil fixe mes boucles créoles ainsi que mes lunettes de soleil. Je n’ose plus bouger du tout … Ouf ! Il repart et toujours aussi culotté, descend dans le carré. Que peut-il bien y faire ? Nous le suivons tant bien que mal du regard : il inspecte tout pour finalement sortir au bout de trente minutes. Jetant un coup d’œil autour de lui, il s’aperçoit que nous approchons de la côte sarde. Enervé et affolé, il se dirige vers le balcon arrière, regarde encore la côte, hésite. Que va-t-il faire ? Sauter ? Non ! Il revient vers nous et s’installe tranquillement à SA place, devant la barre, où il restera, presque immobile jusque devant le port de Villasimus en Sardaigne où nous nous mettons à l’ancre. Là, pour la première fois nous l’entendons prononcer un mot dans sa langue: Un sifflement strident, je suppose qui veut dire « merci ! Puis, il s’est envolé, vers le maquis tout proche !