Petit poème d'un marin solitaire

Vent d’ouest
Ce soir le vent d’ouest porte jusqu'à mon bord les accords d’un jazz triste à pleurer, alors que sonne 21 heures ou plutôt, 9 heures au clocher de l’église d’Olaho .Déjà un an, un an que je suis parti de ma Normandie natale. Avec joie et qui plus est le soutient total d’une famille aimante, si aimante qu’à l’heure de la retraite, mon épouse comme mes enfants m’ont encouragé à réaliser le rêve de ma vie pendant que celle-ci m’accordait encore les faveurs de la santé.

Cette santé si agressée par tous mes abus et excès destructifs, tant des folies éphémères que d’un travail ou les heures ne comptaient pas, que par mes multiples passions.
Le vent d’ouest est tombé, l’éolienne s’est figée dans un silence agressé juste par le bruit des moteurs des taxis boat sillonnant la lagune du ria Formosa.

Mais quel putain de blues m’envahit ?
Je l’ai senti, sournoisement monter en moi dès hier soir. Malgré un vinho tinto à température, ses 14° ne m’ont que permis une nuit sans rêve. Une nuit agitée, ou à plusieurs reprises, secoué par les clapots venant se briser sur la coque de mon voilier, je me retournais afin de garder un sommeil reposant et improbable qui cependant finit par m’emporter.
Le temps de ces quelques lignes et l’éolienne reprend avec acharnement sa mission pour me permettre l’énergie nécessaire à la lumière et à l’entretient des batteries.

Mes batteries, elles ont pourtant malgré ce vent d’ouest crépusculaire bien besoin d’un bon coup de fouet. Oh pas celles du bateau mais celle du marin, exilé volontaire, plein de rêves, de certitudes d’aventures à peines entamées et en appelant d’autres et dont jamais je ne suis rassasié.

Mais en fait, je m’interroge.
Qu’est-ce que ce vent d’ouest vient faire à me tracasser ainsi. Je vis mon rêve, je suis sur mon bateau avec loin de moi une famille qui m’aime, je suis dans un pays magnifique ou malgré les difficultés de la langue, je m’intègre doucement au coté d’une communauté française bigarré avec laquelle en fait je ne partage pas grand-chose, mais ou je retrouve les grands courants de ce qui m’a fait partir un peu plus tot que prévu.

L’amour de la mer, la passion de la voile, l’aventure ont été mes principales motivations mais voir la France se désagréger par rapport à son identité et ses valeurs m’a fait précipiter les choses. Le vent avait tourné. Ce vent du sud qui nous apporte chaleur, tant redouté en fonction des périodes a tourné et poussé mon bateau bien plus loin que je ne pensais, parcourant à toute vitesse des espaces dont même dans mes rêves les plus fous, je n’osais imaginer la dimension.

J’ai en peu de temps, beaucoup appris grâce à cette folie, notamment que la mer est l’école de la modestie et de la patience, j’apprends encore à l’écouter, moi qui parlait tant, mais elle m’aide car je la respecte. C’est pourtant une maitresse jalouse. Si ma terre natale m’importe peu, l’absence de ma compagne , de celle qui a tout partagé avec moi, les meilleures années, les pires cauchemars, portée par le vent d’ouest me pèse.

Pourtant, lorsque j’étais en activité, nous ne passions que peu de temps ensemble, moi accaparé à subvenir aux besoins sans cesse grandissants d’une famille avide de nouvelles sensations et ma muse, toujours plus prise à prodiguer les soins médicaux dont ses patients avaient de plus en plus besoin au point que je pestais parfois bien inconsciemment d’être en bonne santé.

Le voyage nous aura cependant permis de nous parler plus que nécessaires, avec les silences de l’absence. Nos communications quotidiennes nous ont offert plus que les 42 ans partagés au quotidien ensemble tant leur intensité est forte.

Partir est facile, affronter les difficultés techniques et matérielles fait partie de la vie du marin voyageur ; les rencontres, les découvertes de nouveaux amis, venus de tous horizons font parti de l’essentiel et du quotidien lorsque l’on navigue seul ; mais le seul point que je n’avais pas su évaluer c’est l’absence que celle qui a tout partagé avec moi. Pourtant par moments, comme dans tout vrai couple, on se dit qu’on est content de ne plus avoir à supporter les caprices, les facéties, les sautes d’humeur de l’autre. On se dit aussi qu’une séparation de quelques semaines, de quelque mois, d’une année ; qu’est ce que c’est, ça ne peut faire que du bien.

Ca ne peut faire en effet que du bien, malgré ce vent d’ouest qui vous apporte ce blues à l’âme et qui en même temps, vous pousse pour rejoindre plus au sud, les alizés salvateurs.
D’autres rencontres, d’autres paysages et d’autres émotions mais que je voudrais tant partager et vivre avec toi mon amour. Si partout les filles sont jolies, si la liberté de ma vie me donne toutes facultés pour aller plus loin vers l’horizon, il me tarde ma mie, de t’accueillir à bord, bercée par les vents. Il n’ y a pas que le vent d’ouest qui souffle pour nous, sur sa rose, celui que nous espérons mais que nous craignons aussi va nous porter au delà de nos rêves les plus fous .

L'équipage
30 juin 2019
01 juil. 2019

Merci

01 juil. 2019

:pouce:

01 juil. 2019

Très joli texte qui traduit bien la "liaison" entre LE rêve et LA réalité ... Merci. Cdlmnt Denis

01 juil. 2019

:heu: un peu déprimant quand même... :-(

01 juil. 2019

:pouce:

02 juil. 2019

ça demande réflexions .
c'est l'abscense ou la solitude .
ou peut être tout simplement l'abstinence ?
alain :famille:

02 juil. 2019

:pouce:

Le Stromboliccio

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