A Toulouse, une unité du SAMU soigne les Français qui voguent sur les mers du globe

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Depuis 1968, les appels d’urgences médicales des navires battant pavillon tricolore transitent par ce « SAMU de la mer ». Les médecins diagnostiquent et donnent des instructions pour soigner, dérouter un navire pour l’assistance ou évacuer un malade.

C’est un petit local qui ne paie pas de mine, niché au cœur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Purpan, à Toulouse. Il comprend juste trois écrans d’ordinateur, des casques d’écoute, un planisphère accroché au mur et quelques revues évoquant la navigation qui traînent sur un bureau. Pourtant, dans ce bâtiment baptisé Louis-Lareng (1923-2019), du nom du professeur toulousain créateur du SAMU en 1968, on traite les cas médicaux de tous les navigateurs français, ou naviguant sous pavillon français, du globe.

Tous les ans, le centre de consultation médicale maritime (CCMM) reçoit plus de 6 000 appels. Créé en 1968 et officialisé au sein du SAMU de la Haute-Garonne par instruction interministérielle du 29 avril 1983, relative à l’organisation opérationnelle de l’aide médicale en mer, le service, permanent et gratuit, assure les consultations et les assistances télémédicales pour les membres d’équipage, passagers ou simples occupants du navire.

« La téléconsultation de médecine d’urgence, mais aussi de médecine générale et de médecine spécialisée, repose, outre sur les données cliniques transmises par le responsable des soins à bord, sur la télétransmission de données médicales telles qu’images numériques, vidéos ou électrocardiogrammes », précise le responsable de l’unité, le professeur Patrick Roux.

« Bobologie », angoisses, fractures, entailles, cas de Covid-19, ici, à parfois plusieurs milliers de kilomètres de distance, on doit « soigner et non envoyer des moyens, comme le SAMU le fait », poursuit le médecin urgentiste, qui compte trente ans de régulation à son actif.

Le commandant de bord, principal interlocuteur

En cette fin juillet, période intense de navigation, le médecin urgentiste Alexandre Saccavini assure la réception des appels, comme les autres médecins de l’unité, toute la semaine de 8 heures à 18 heures. Le week-end, c’est le centre de réception et de régulation des appels du SAMU 31, dans une grande pièce à côté, qui prend le relais.

Le lundi, le docteur Roux, de permanence, en a traité une trentaine. Cet après-midi, c’est le grand calme. Seuls le Moby-Dick, un voilier voguant au large de la Croatie, et le Pont-Aven, navire de passagers entre l’Espagne et l’Angleterre, ont composé le 196 – le numéro des urgences en mer – ou le numéro à dix chiffres du centre. « Ce sont les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage qui réceptionnent les appels et nous les transmettent obligatoirement », explique le docteur Saccavini.

Il en existe cinq en France et quatre dans les départements d’outre-mer. Au téléphone, c’est le commandant du navire (chalutiers, voiliers, marine marchande, ferries) qui doit être l’interlocuteur. Les situations peuvent parfois relever du casse-tête. « On peut dialoguer avec un commandant français naviguant sur un bâtiment danois dans les eaux de l’Adriatique », souligne le docteur Roux. Ou, comme la semaine précédente, avec un touriste français sur un bateau norvégien faisant route vers le pôle Nord. Celui-ci a dû être évacué. Car si la première mission du CCMM est de dresser un diagnostic, puis de soigner et de prescrire en direct, d’autres situations peuvent se révéler plus lourdes à gérer.

Si 73 % des cas sont gérés à bord (points de suture, pansements, prescriptions de médicaments ou même fractures), 12 % nécessitent un débarquement, 5 % un déroutement et 6 % donnent lieu à une évacuation sanitaire. « Il faut être extrêmement pertinent, se représenter la scène et les circonstances, agir avec une grande économie de moyens », insiste Patrick Roux, selon lequel les commandants au bout du fil « sont nos mains ».

Lorsque le malade est plus atteint, et nécessite un déroutage du bâtiment ou une évacuation, ce sont les SAMU de coordination médicale maritime, eux aussi dispatchés sur le globe, qui prennent la responsabilité médicale de l’opération de secours. Déroutement d’un navire proche – obligatoire en mer pour tous les navigateurs –, navette des sauveteurs en mer en France, hélicoptères… tous les moyens peuvent être déployés. « Il m’est déjà arrivé de dérouter un bâtiment de l’US Navy pour récupérer un de nos ressortissants », se souvient Alexandre Saccavini.

La semaine précédente, c’est un matelot russe, à bord d’un navire marchand français de la CMA-CGM, qui a été évacué à Mayotte. Il venait de faire un infarctus. Le soir du 14-Juillet, au large du cap d’Antibes en Méditerranée, une dame a appelé alors que son voilier était en train de couler. Un yacht très distrait de touristes lui avait coupé la route, au large, sous le feu d’artifice. Le plus souvent, les symptômes sont diagnostiqués au téléphone, et surtout à l’aide de photographies. Envoyées par téléphone ou par mail, elles permettent d’évaluer la plaie, alors que les vidéos, pour cause de transmission parfois mauvaise, sont évitées.
Des valises de téléconsultation

Dans un bateau, la maladie perturbe fortement la vie à bord. Et dérouter un porte-conteneurs peut avoir des répercussions économiques fortes. « On peut diagnostiquer et soigner en direct avec des non-professionnels et peu de moyens », note le docteur Roux, qui a mis en place, chaque année, des formations aux gestes médicaux de responsables de soins ou d’officiers de marine marchande. Deux cents journées pour dix à quinze stagiaires, qui permettront de parer aux situations les plus fréquentes à bord, jusqu’aux plus délicates.

L’unité intervient également dans tous les établissements maritimes pour former les futurs matelots ou patrons pêcheurs. Elle y rappelle que c’est à Toulouse, plus connue pour être le pays de l’aéronautique, que fut créée l’ancêtre de l’unité, à la fin des années 1950. A Saint-Lys, en banlieue de la ville, avait été installée après-guerre une antenne-relais pour les fréquences à ondes courtes. Quand l’opérateur recevait un appel de détresse en mer, il appelait le CHU de Purpan, qui ne répondait pas souvent. Parmi les internes parfois sollicités, un certain Louis Lareng, fourmillant d’idées sur les urgences médicales. Lorsqu’il crée le SAMU, en 1968, il y intègre l’aide médicale en mer.

Les techniques ont désormais évolué, notamment en télécommunication. Le trafic maritime s’est grandement intensifié et, avec lui, la multiplication des petits ou grands malades. « L’avenir, c’est l’embarquement de valises de téléconsultation, avance le docteur Roux. Une soixantaine de navires en sont équipés, avec une caméra et tout le matériel pour la transmission de paramètres médicaux. Cela permettra bien évidemment d’affiner les diagnostics et les soins. »

En attendant, c’est la bonne vieille technique du téléphone qui fait toujours ses preuves. En fin de journée, les deux médecins ont reçu les photos des points de suture posés sur un matelot du bout du monde. Puis celles d’un marin frappé de plein fouet par une bôme de voilier, et qui a dû être anesthésié avec succès à bord. Missions accomplies… au bout du fil.

Philippe Gagnebet(Toulouse, correspondant)