Tous à la godille!


“La godille sauvera le monde”. (god'' save the world)!

 

C'est dans cette affirmation fumeuse que s'achèvent sur mon île les bons moments passés à plusieurs dans nos canots à godille, qu'on nomme ici “godilleuses”

 

Il y a bien dans cette façon d'aller sur l'eau quelque chose de divin, qui tient de la facilité déconcertante avec laquelle un bout de bois remuant l'eau nous déplace vers l'avant, sans grand effort, et de la façon la plus élégante.

Campé sur ses jambes à peine fléchies, la main à hauteur d'épaule, le buste dans l'axe du canot, le godilleur transmet son oscillation verticale à l'aviron dans un balancement opposé au roulis. Que vienne un peu de vent, et c'est à deux mains qu'il croche dans le bois, et, tournant le dos à son cap, qu'il amplifie le geste en force et en mouvement. Bientôt la chaleur dégagée par l'effort permet de tomber la vareuse et la balade commence. La vague qui repousse le bordé est ressentie dans les pieds, qui corrigent la flexion des genoux. Le bassin est en recherche permanente de notre centre gravitationnel, les cuisses poussent pour créer un mouvement latéral entraînant le torse et augmentant la traction sur l'aviron. Bras et poignets ajustent en permanence l'incidence de la pelle et déclenchent l'inversion du mouvement. Que le corps soit suspendu, comme chez les godilleurs légers, où en appuis comme chez les plus corpulents, le mouvement est souple, en constante adaptation aux variantes imprimées par les vagues. Les ralentissements et accélérations du bateau imposent ralentissement et accélération du rythme, et ajustement permanent de l'angle de pénétration de la pelle dans l'eau.

Comment une mécanique aussi complexe peut-elle être décrite, est-elle numérisable? Probablement de la même façon que le pilote automatique d'un voilier, capable de plus de régularité mais pas d'autant de finesse qu'un barreur humain.

 

La godille est éminemment humaine, et animale. Humaine parce-que qu'elle exige un outil, animale pour la nécessaire symbiose avec le milieu. Il faut tout sentir pour que l'effort n'en soit pas un. Sport de glisse soft, éloge à la lenteur, à la prise de temps, elle nous emmène le long du rivage dans le silence du canoë, en plus stable et avec une capacité de charge incomparable. Une paire d'amis à bord, le pique-nique et les lignes de pêche, ou encore une toile pour bâcher le canot et un matelas gonflable roulé dans un coffre, il suffit de monter à bord et de larguer les amarres. Pas de préchauffage, pas de drisse à étarquer, de bôme à éviter; l'aventure, ou l'impression d'aventure, est là dés les premiers coups de pelle. Savoir s'échapper avec si peu de moyens, c'est divin.

 

La godille est terriblement séduisante. Sentez les regards tournés vers vous lorsque vous quittez le port, lorsque vous croisez un autre bateau. L'observateur perçoit l'élégance du geste, et son esprit s'interroge; pourquoi pas moi, comment se fait-il que cela paraisse aussi simple, et si c'était aussi simple qu'il y paraît? Il y a quelque chose dans cette séduction, qui dit bien que nous y percevons quelque chose d'essentiel.

 

La godille est gentiment addictive. Si l'effort à fournir pour se déplacer est minimal, l'envie d'accélérer est quasi-irrépressible. Très vite le corps prend les commandes et en redemande, grâce peut être à la sensation de glisse créée par l'accélération. Et très vite la mécanique décrite au début libère les petites molécules du plaisir physique, et l'on sent se délier les articulations, s'assouplir les liaisons. Surtout ne pas forcer, faire corps avec le bateau, avec la vague, avec l'aviron. Pour sûr, le lendemain, on a juste envie de recommencer...

 

La godille est un sport à portée de tous, des moins sportifs d'entre nous aux athlètes les plus olympiens. Rien n'interdit de godiller assis, rien n'interdit de tenter de battre des records. Et il en est, des records à battre; de vitesse pure, de distance, et de technologie... D'une pratique longtemps subalterne, elle devient actuellement source de plaisir et moyen de propulsion totalement écolo. D'aimables furieux passent des heures à dessiner et construire des bateaux spécifiquement adaptés à ce mode de propulsion, pourvus de rostre et diverses palmes, et des avirons issus de la théorie aéronautique, ellipsoïdes et techno-flexibles. De la table à dessin (pardon, du logiciel de cao) à la vague, la même obsession de mieux faire, de découvrir l'accord parfait, d'optimiser l'énergie dépensée. A ce stade, la promenade en bord de rivage est d'un autre monde. Nous voila dans la conceptualisation, décortiquant des vidéos et des photos pour analyser les postures, les angles d'incidence, les vagues d'étrave et de tableau...

 

La godille est moderne. Pratique profondément gracieuse, il semble que l'amélioration des outils et des performances passe par la plus parfaite compréhension des éléments en jeu pour préserver cette grâce. En cette année 2017, deux bateaux ont été créés pour passer les 5 nœuds, pari réussi. La 7eme édition des championnats du monde à Groix a vu le temps de parcours descendre sous la minute pour la première fois. C'est l'ébauche d'autres créations plus performantes encore.. Quand aux avirons, pas moins de 5 créations, bois ou composites, pouvaient être testées en cette occasion. A cette heure, plus de questions que de réponses, et donc l'ébauche d'une démarche scientifique qui permettra d'obtenir soit plus de performances, soit, et l'essentiel y réside, plus de plaisir avec moins d'efforts.

 

La godille est un grand bouillon de culture d'échanges et d'amitiés, une corne d'abondance prodiguant fraternité et convivialité. Nous l’ignorions, la godille est divine et elle l'est pour tous.

 

AR