Patagonie sans l'aide de volvo


 

CECI EST UN ARTICLE QUE J'AVAIS PUBLIE EN ANGLAIS EN AUSTRALIE EN 98: il n'y a pas de photos qui sont encore sous forme de diapos mais ça viendra

 Patagonie

Un illustre navigateur affirme dans une encyclopédie de la voile de plaisance, qu’un yacht ne devrait pas s’aventurer dans les quarantièmes. C’est une idée curieuse étant donné que la France se trouve précisément dans les quarantièmes, nord il est vrai. Un architecte non moins connu nous dit qu’au cours de nos navigations lointaines, il n’est pas utile de pouvoir faire du près sur de longues distances.

Voilà deux postulats que je vous conseille d’ignorer si vous voulez rester libre et naviguer en sécurité.

Mais n’espérez pas que ce soit les vacances tous les jours. Plus vous irez vers le sud, plus grand sera l’inconfort, les menaces de l’élément et les difficultés d’intendance. La houle du sud n’est pas plus belle que celle de l’alizé, elle est plus haute et plus froide. Alors pourquoi  y aller alors qu’il est déjà si compliqué de se baigner dans un lagon des Roques ou des Tuamotus.Ne vous affolez pas trop, les tempêtes c’est  dehors sur le vrai océan, ce n’est pas tous les jours, et même par 50 sud, les iles qui délimitent les canaux de la Patagonie Chilienne, sont des remparts sûr face à la houle du large. Pour ce qui est des caprices du vent et de la pluie, c’est une autre histoire. De Puerto Mont (41°S) à Ushuaia nous naviguons presque tout le temps dans des eaux intérieures ; mais le moteur, tout neuf il v a deux ans lors de notre départ de France, est définitivement hors service. Plus de compression. Pas le temps d’attendre une hypothétique réparation, nous irons à la voile.

La descente jusqu’à Ushuaia n’aura malgré tout rien à voir avec le passage d’est en ouest par Slocum. Reconnaissons que la technologie y est pour quelque chose mais aussi la disparition des indiens dans cette région.       A cette époque, le littoral  patagonien était peuplé de populations Indiennes, comme le reste de l’Amérique du sud avant l’arrivée des espagnols  et  des Portugais. Rapidement les autres pays occidentaux ont apporté leur contribution. Les Indiens voyaient bien sûr d’un assez mauvais œil la venue des blancs sur leur territoire, et il semble que les attaques fussent nombreuses. Comme il nous le raconte, Slocum, on ne pouvait utiliser les mouillages les meilleurs, qui sont innombrables, mais situés au fond de baies et de fiords petits et complètement fermés, qui interdisent la fuite, surtout à la voile, surtout en pleine nuit. Peut-être faut-il relativiser le caractère belliqueux de ces. Yamana, Patagon, Onas, Acaluf, dans la mesure où je ne doute pas qu’une fois de plus le conquérant se comportât en dépit du bon sens, sans respecter ni le milieu ni les hommes qui entendaient aussi faire respecter leur existence. Cela aura dégénéré ; la civilisation occidentale aura fini par occulter la civilisation autochtone. Mais n’est-ce pas une loi naturelle ? Le plus performant ne doit-il pas triompher ?

Au mouillage dans le détroit à proximité du “ Columbia “ de San Francisco en 1896 les pensées de Slocum sont édifiantes “ je passais une partie de la nuit à contempler le grand navire pour le seul plaisir de voir briller les lumières électriques, qui faisaient un si grand contraste avec les brandons enflammés des pirogues fugué­ennes. Je vous rappelle que la terre de feu se nomme ainsi à cause des foyers qu‘entretenaient en permanence les Indiens,  étant donné le climat et leur vêtement sommaire, ce n’était pas un luxe. Pour être exact la terre de feu est la grande île située au sud du détroit de Magellan, mais tous les peuples de Chiloé au Cap Horn avaient des mœurs assez semblables, lis vivaient de la pêche surtout, de la chasse et de la cueillette ; leur mode de vie était adapté au climat froid et pluvieux de ce vaste domaine.Après l’interlude historico-ethnologique, revenons à la navigation (de Plaisance).

Le jeu est-il d’atteindre la limite de compétence du capitaine. Tout allait pour le mieux dans les mouillages de Chiloé. Vent régulier et modéré ; une évidence s’impose malgré tout : les problèmes se posent uniquement dans les passes très étroites où il est impossible de louvoyer, et lors des manœuvres de mouillage lorsque la place manque. Lorsqu’on est en route, rien ne presse, et s’il n’y a pas de vent, nous nous servons de l’annexe comme pousseur, remorqueur, tracteur, propulseur d’étrave ... Avec les 6 CH Suzuki, nos 12 tonnes font route à 3 nds sur eau plate. Ainsi les quelques jours de calme plat. Nous pourrons parcourir jusqu’à 30 miles par jour au moteur. Rien à signaler non plus dans l’archipel de Chonos, entre 43 et 46 de latitude environ. C’est un magnifique domaine navigable avec de multiples canaux très étroits s’immisçant entre des iles plutôt basses. La météo y est encore civilisée, mais les courants de marée sont violents ce qui impose des horaires plus stricts qu’en Patagonie.

Entre 46 et 48 40’, on est contraint de sortir sur la vraie mer pour contourner le Cap Raper et le golfe de Peñas, et enfin nous apercevons les sommets enneigés de la Patagonie.Il fait un temps splendide tout à fait inhabituel pour la région, et notre expédition dans le sud prend des allures de croisière estivale. Nous nous déhalons doucement sous spi ou à couple de l’annexe. Il fait chaud et la visibilité est si grande que l’on aperçoit souvent un cap remarquable ou nous ne serons que dans un jour ou deux. Sous ce temps radieux, visite à Senno iceberg, le premier glacier posé sur son fiord que nous rencontrons.Au dernier méandre,  il apparait un peu irréel sous ce soleil, avec six dauphins bien gras qui nous saluent de leurs bonds très ciné géniques. Un petit souffle nous permet d’approcher au louvoyage entre les growlers la muraille de glace bleue. Même si vous avez l’habitude des glaciers de montagne, la vision ici est totalement différente, plus de majesté et plus de malaise, peut-être parce 50 ou 100mètres sérac sont là, suspendus au dessus de votre maison. Ne vous approchez pas trop, surtout s’il fait chaud, pour ne pas finir en préparation surgelée pour les crabes et les otaries.

Est-ce qu’on ne nous a pas raconté des histoires avec les Williwaws à 100 nds, neige, pluie et visibilité nulle. Le surlendemain c’est sous spi bleu que nous arrivons à Puerto Eden le seul « port »  de la route directe jusqu’à Ushuaia. Puerto Eden porte bien son nom car même s’il y pleut énormément (nous le verrons au retour) le site est bien protégé des vents dominants, du fait du tracé sinueux du canal à cet endroit,  aussi à cause de son étroitesse et de la présence de nombreux ilots qui gênent agréablement le travail d’Eole. Huit miles au nord se trouvent le passage le plus des canaux commerciaux. Angustura Inglesa n’a que 200 mètres de large, et les cargos ( plusieurs passent chaque jour) sont obligés d’avoir à bord un pilote pour éviter l’erreur dans ce genre de passage.

Puerto Eden est un village de pêcheurs de coquillages ; ici comme à Chiloé et sur tout le littoral chilien au sud de Valdivia ( 39 5l’ sud),  les mollusques sont récoltés en plongée au narguilé, par des profondeurs allant jusqu’à 60 mètres. Le village compte moins de 500 habitants qui, si l’on exclut le personnel de l’armée, omniprésente au Chili, et quelques commerçants, sont tous occupés par la pêche. Il y a sur place un atelier de conditionnement pour les “Cholgas”. Grosses moules que l’on fume et que l’on sèche pour la conservation. Elles seront vendues liées en grappes par des tiges d’herbes souples et coriaces, à Puerto Mont (au nord) ou à Puerto Natales (au sud)

Le site est beau, quand il ne pleut pas trop, et tranquille surtout s’il pleut... les gens ne sont pas riches, mais conne les grands magasins les plus proches sont au bout de 250 miles de canaux. Les 10 ou 15 voiliers qui y font escale dans l’année sont bien accueillis, on vous salue et l’on vous souhaite bon voyage, car il n’est pas difficile de comprendre que vous n’êtes pas du coin lorsque vous vous promenez à terre avec votre ciré jaune. Les rapports avec ces plongeurs du froid ne connaissent pas les sous-entendus de compétence nautique ou d’argent qui encombrent nos rapports avec les populations de la plupart des pays visités, surtout quand il fait chaud. On aimerait séjourner là Une semaine ou deux, essayer de pénétrer la forêt humide, essayer la plongée, mais notre compresseur restera muet pendant plusieurs mois, et, de plus, une fois fait le plein gas-oil et de quelques vivres, les contraintes de saisons et de temps nous poussent à quitter l’endroit trop vite. Lorsque nous repasserons quatre mois plus tard, la pluie permanente nous condamnera à nous étioler dans le carré pendant les deux jours de l’escale. Pour Damien notre marin en herbe, ce village sera l’occasion de trouver quelques copains pour jouer sur le ponton de bois, et se faire inviter chez les enfants du village pour y crier et courir à loisir, et même voir Gartield en vidéo. Ceci pour vous dire que si le climat réussit au petit, ce n’est pas toujours pour le plaisir de ses parents.

C’est au sud de cet endrit  que les conditions vont se gâter. La pluie va devenir la première cause d’inconfort, 24h sur 24, 6 jours sur 7, c’est typique mais ça use. Heureusement çà se dégagera pour quelques heures, la chape grisâtre laissant la place à un peu de bleu parsemé de cumulus musclés, et l’on oublie presque le déluge de la veille. Les premiers jours sont oubliés, et quand le soleil daigne à nouveau se montrer, mais maintenant cela ne dure jamais longtemps, on se dépêche d’embrasser du regard l’immensité de ce labyrinthe des canaux sur huit degrés de longitude, soit presque 800 km. La bande de terre Chilienne est en fait ici constituée uniquement de canaux et de fiords dans lesquels plongent plus d’un glacier. Bien que l’armée aime à dire qu’elle contrôle ce territoire, les méandres et avenants des chenaux, les iles et ilots sont en si grand nombre, qu’il est impossible de seulement l’appréhender du regard sur la cartographie, qui de toute façon, même sur les grands axes est incomplète, ou fausse.

Vers 51ù30~ de latitude, dans le canal Sarmiento, nous découvrons l’abri le plus secret de tout notre périple ; « Moon Light Shadow » du nom du premier yacht qui décida de le baptiser, est une tranchée large de 50 m et longue de 2 miles dans une ile basse. L’entrée est confidentielle. Au fond d’une vague baie, dans un rayon de 300 m entièrement semée des roches, il y a un passage de 10 m de large. Pour rentrer à la voile ...? Vers le fond du fiord, se trouve une mini baie puis un renfoncement entre les arbres, juste la place pour le bateau. Corrélation est bâché et immobilisé par trois aussières frappées sur des arbres. L’abri est imprenable. C’est d’ailleurs le cas de la majorité des mouillages que nous avons expérimentés. Pour trouver l’abri idéal, une fois sur place, il faut se mettre le plus près possible du rivage où poussent de beaux grands arbres, preuve que là, le vent ne souffle jamais bien fort. (S’il n’y a pas d’arbres, c’est que l’endroit est venté, est comme ce n’est pas l’alizé, il vaut mieux chercher ailleurs). Il y a trente cinq nœuds dehors, mais ici on est ailleurs. Les canards-vapeur se promènent deux par deux et fuient à notre approche. En courant sur l’eau en moulinant des ailes ; celles-ci ne leur permettent plus de voler (ici il n’y a pas de prédateur), mais se déplacent à 5 ou 6 nœuds en brassant l’air et l’eau conne un vapeur du Mississipi, d’où leur nom.

La veille, à vingt miles au nord nous avions fait escale dans un site assez semblable, mais plus vaste et que nous avons baptisé “Seno Damien“, car il ne portait pas de nom sur la carte. Ce nom sera communiqué à Valparaiso, au pilote des canaux en retraite, qui se charge de mettre à jour un petit guide à l’usage des plaisanciers. Damien est notre fils comme chacun saitDeux jours plus tard nous pointons l’étrave dans le détroit de Magellan. Il y a du vent d’ouest fort, mais aussi du soleil de l’autre coté du détroit, rive

Sud on aperçoit la grande cascade de la baie Woodworth, visible à 15 miles... Elle Enjambe la falaise sur 200 m de dénivelé pour se jeter directement dans la baie. Ici, on sent que même les cargos se font petits car l’élément est plus lunatique. Et même par beau temps apparent il peut se produire des sautes d’humeur tout à fait disproportionnées. Il faut savoir courber l’échine, il faut essayer de palper les pulsations de l’éther ; ici,  plus qu’ailleurs, il faudra privilégier l’observation à la météo officielle. Je dis cela tout de même avec un peu de mauvaise fois, car les bulletins Chiliens (ou ne sont ni plus ni moins valables que les nb7tres, c’est pourquoi je me garde bien de les écouter. Je n~’écoute jamais la météo sauf on zone et saison cyclonique.Un jour dans ce détroit de Magellan, lors du retour, le vent est passé de 0 à 50 nœuds on moins d’une demi- heure, pour augmenter en deux heure jusqu’à 60 nds. Charmant plan d’eau. Le phénomène s’appelle “Williwaw“. Il s’agit d’un phénomène n’ayant qu’un relatif rapport avec la météo A de l’océan. Il a pour cause la distorsion de pression et de température créées par la présence du relief et des eaux froides des fiords glaciaires. Les Williwaws vraiment violents et durables sont assez rares ; heureusement car ils sont très... contrariants

Nous sommes encore au nord de Punta Arénas mais climatalogiquement c’est déjà la terre de feu. Nous n’avons toujours pas d’ennui. Après 80 miles de détroit nous empruntons vers le sud le canal Barbara, interdit et peu cartographié, et à hIe Adélaïde au sud de ce canal c’est une première alerte. Nous sommes arrêtés là une journée -pour cause de tempête, bien au calme dans une crique étroite, et amarrés par quatre bouts à terre. C’est le lendemain, au départ qu’il y a un problème. Il est impossible de se dégager là à la voile, car les turbulences nous ramènent toujours à terre, et jamais vers la sortie de notre refuge. Je décide de démarrer à l’éther ce qui nous reste de moteur, afin au moins de mouiller dans la baie principale pour finir nos préparatifs (remonter l’annexe, lover les aussières...). Puisque le moteur semble tourner, nous l’utiliserons pour l’appareillage en gardant toutefois grand voile et trinquette. Mais lorsque nous dérapons l’ancre, le moteur cale. Nous sonnes sans erre, l’étrave pointée vers le plus proche rivage rocheux ; le temps que le bateau démarre, il est bien trop tard pour manœuvrer. J’ai le temps de loffer pour amortir le choc. Nous nous vautrons pendant quelques minutes sur les roches avant de pouvoir se dégager. La belle peinture du Venezuela est massacrée sur l’étrave, et le davier est tordu. Ce n’est pas une catastrophe.

Le soir nous arrivons dans la Caleta Brecknock, c’est l’oasis. Au bout de deux milles d’un étroit canal ou il v a en permanence tellement de courant d’air, que toute végétation est absente ; la roche est nue sur toute la hauteur du relief, la roche grise qui dégouline ou les torrents naissent au milieu de la falaise. pour se tarir dès que la pluie cesse pour reprendre une heure plus tard. Les otaries nous escorte4~mais je suis plus occupé à tirer des bonds dans ce chaudron de sorcière au çà souffle force 9 alors que toute la journée fût presque paisible. Au fond on pénètre dans un sorte de lagon entouré de relief abrupt, il y a des rivières de grands et beaux arbres, de l’eau plate, c’est le calme alors qu’à 100 m çà souffle presque en tempête. La, on s’amarre à la falaise où les pêcheurs ont installé des points d’ancrage dans la roche avec des barres de fer. On peut même se mettre « à quai » en surveillant tout de même le mat. Il pleut peu le lendemain, et cette étape nous mène à l’entrée du Canai de Beagle qui marque la fin du continent. Au bout du Beagle c’est Ushuaia (Argentine) et Puerto Williams (Chili), les deux agglomérations les plus au sud du monde. On va bientôt pouvoir boire un vin chaud au troquet.

L’avant-dernier jour de navigation est humide et froid. Nous parcourons le canal d’ouest en est à bonne allure. Malgré le temps plus affreux que jamais, nous sortons la tête pour photographier les glaciers qui descendent de la Cordillère Darwin jusqu’ aux eaux grisâtres du canal. Murailles de glace bleutée noyées dans la brume jaunâtre et la pluie. Même Damien, souvent blasé de ces géographies du bout du monde, sort sa tête de bébé pour juger do nouveau caprice insolite et spectaculaire que nous offre la nature. A 5 milles il y a Caleta Olla, je sais par te guide Chilien et par les on-dit radiodiffusés par les Anglais et Canadiens qui nous précèdent, que l’endroit est remarquable et bien abrité. Plage de sable,  glacier à proximité pour la ballade.

Le voyage aller est bientôt fini; nous nous en tirons sans vrais ennuis mais le génie malfaisant qui se plaît, depuis le 2 juillet 1958, à me soumettre aux épreuves... soudain une idée ! Nous n’allons pas nous en tirer à si bon compte! Ces deux marioles qui emmènent l’enfant et le chat, coussins de velours, eau courante, chauffage, Miles Davis à la trompette et Mike Stern à la guitare 25 nœuds vent arrière. Il faut faire quelque chose. Un vilain nuage noir et jaune barre le canal à l’ouest progresse vers nous en remuant force écume alentour : juste le temps de réduire la voilure, et en cinq minutes, il y a 55noeuds. Par chance, l’annexe et son moteur en remarque ce jour-là, chevauche avec virtuosité le méchant clapot, Eole à beau s’époumoner, il n’arrivera pas à la retourner: dans trois minutes ce sera l’abri derrière la langue sablonneuse et la petite colline qui l’isole du canal. L’ancre est prête. T- 1mn dans l’entrée du mouillage, 400 m sous le vent de la plage, il n’y a pas moins de vent, 11m de fond seulement en passant sous le vent de la langue de sable. Peut- être serait-il plus rationnel d’aller y bécher, non, forçons le passage. Mais le vent tourbillonne comme la girouette en tête de mat; je ne trouve pas le près. Là bas un Joshua Amarré cul à la plage se dandine doucement sur eau plate. De l’autre côté de la petite baie il y a une belle falaise rougeâtre ; manque à virer, bout au vent, trinquette à contre, marche arrière, rien ; rafale, essayons de sortir de ce piège à l’abattée ? Mais sans vitesse il ne se passe rien, et quand le bateau repart, c’est droit devant, lui vers la falaise. Je crie à mon équipière de mouiller, mais avec ce vent, cramponné à l’avant, elle n’entend rien. Nous nous plantons de face et à 2 ou 3 nœuds dans le granit. Maintenant on mouille pour ne pas se retrouver au sec 200m sous le vent sur les alluvions de la rivière glacière.

Comme l’annexe son moteur est là au bout de la ficelle rouge (celle qui servait il y a 4 ans pour l’ascension du Mont Blanc), je peux aller rapidement mouiller une autre ancre pour nous décoller de la falaise contre laquelle nous pousse le vent. Dans la foulée, après avoir pris soin de capeler le harnais au fond de l’annexe, je porte vers la plage au vent les 400m d’aussières dont nous disposons encore. C’est « Ksar » le Joshua au mouillage, qui nous aidera à sortir de là en nous halant à l’aide de son guindeau qui est énorme. Ainsi après une heure seulement, nous sommes au calme à ses côtés. Ce coup à la peinture de l’étrave a mauvaise mine, le balcon a servi de pare-choc et a reculé de 1,5 m et il n y a plus à chercher comment redresser le davier ; le bateau semble avoir raccourci d’environ 1 cm car il y a un léger bombement du pont juste derrière la cadène de génois. Finalement les dégâts sont plutôt limités pour un tel choc ; merci monsieur AG 4.

Suite à cet accident fâcheux, Florence, ma femme, m’affirme que je suis un nul, et que je lui ai menti en lui disant que je savais faire de la voile. Peut-être est-ce exagéré, mais là est la limite. C’est tellement facile au moteur, que nous allons envisager une réparation. Bien sûr les puristes qui crurent pendant quelques miles que j en était un, vont se gausser, mais il va falloir repartir dans l’autre sens tout à l’heure, et ce sera 800 miles au près, un peu moins si le vent est indulgent. De toute façon pour emmener l’enfant à la plage à Bora-Bora, c’est çà où faire le tour dans l’autre sens on repassant Panama.

Ushuaia, c est l’escale, ville, autos, radio, 45000 habitants. On y vit un peu du tourisme, mais surtout grâce à d’assez nombreuses industries tertiaires délocalisées par incitation fiscale. Ce n’est plus le petit port de pêcheurs du bout du monde. Il y a cinquante ans lorsqu’arrivèrent les premiers immigrants,  il n’y avait que 500 habitants, vivant plutôt en marge du reste de Ah oui i’ oubliais de vous dire que Ushuaia1 ville Argentine, est complètement coupée de Puerto Williams, village et base Militaire Chilienne, qui se trouve sur la rive sud du canal de Beagle. Il y a là quelques uns des vingt tourdumondistes qui visitent le sud du monde ; la plupart sont venus par l’Atlantique, et repartiront par la Patagonie Chilienne. Seul, un bateau a fait comme nous l’aller et retour, mais son équipage au lieu de jouer à la mécanique, a préféré l’Antarctique. Il y a aussi 8 voiliers de charter (6 Français, 1 canadien, 1 américain), qui pour des prix prohibitifs vous feront faire une visite express du Cap Horn, du Canal de Beagle, ou même de l’Antarctique. Tous ces bateaux sont en métal et de conception plus rustique et sérieuse que ce que l’on peut trouver sous les tropiques. Un bon tiers des bateaux voyageurs est français également. A Ushuaia, la croisière hauturière est Française.

Quand vous passerez par là, vous pourrez choisir entre le Yacht-club d’Ushuaia, dont le ponton se trouve à proximité immédiate de la ville, ou le club AFASYN qui se trouve de l’autre côté de la baie, et donc à une certaine distance des commerces, mais ou vous ferez les connaissances des plaisanciers locaux. Là il y a toujours quelqu’un pour vous aider à sortir votre moteur, et Huanito le Chilote  président du club vous présentera au petit monde du yachting du bout du mande, qui n’a rien à voir avec celui de Miami ou de Cannes.

Après sept semaines d’escale, nous ne sommes plus un voilier pur, mais nous naviguons de nouveau sur un fifty, le davier est neuf, et le balcon redressé il nous reste cependant du travail avant de repartir vers le nord la visite au Cap Horn.
L’ile Horn se trouve à environ 70 miles de route de Puerto Williams. Elle fait partie de l’archipel des Wollaston qui est isolée à 40 miles au sud de l’Amérique du Sud. Ces ilots sont absolument désolés, les arbres y sont petits et rares, le climat n’autorise la présence que d’une lande basse et humide, et des maigres bosquets. Au mouillage de Caleta Martial, à 10 miles au nord du Cap, il y a une belle plage ou l‘enfant, futur Cap-hornier, peut enfin faire de vrais pâtés, et au mouillage un curieux bateau bleu d’environ 20 m, immatriculé aux Falklands, gros fifty ressemblant à un bateau de pêche reconverti. C’est un bateau de charter qui revient d’Antarctique, le skipper parle français, genre vrai français. Eh bien lui, c’est Jérôme Poncet. Je le présente à mon Damien enfant, mais il est plus intéressé par ses pâtés de sable

Pour rencontrer les gens du bout du monde, il faut y aller.

Au Cap Horn il ne fera pas chaud

Haul Away, hé houla tchalez.

A faire la pêche au cachalot

Hé ho hisse et ho

 

Plus d’un y laissera sa peau

Good bye farewell

Adieu misère adieu bateau

Houra pour Mexico ho ho ho ho

Effectivement le vent se lève à 5h30 du matin, couleur locale 65 nds dans le mouillage et 5°c.  La baie est blanche, et à quelques centaines de mètres sous le vent, on ne distingue plus où est le ciel et où est l’eau, tout est noyé dans les envolées d’embruns. C’est joli à regarder, mais au troisième jour nous commençons à nous lasser, le vent à un peu baissé, on se sauve. Le bébé est content, il va retrouver Grâce à Puerto Williams, la petite fille d’un vieux gréement,  bateau de Charter Américain. C’est bien plus malin que d’aller faire le tour d’un ilot dénudé. Après cette brillante prestation, les services maritimes Chiliens vous propose le Diplôme de Cap-hornier, 15$ ; nous ne sommes pas amateurs.

La remonté vers la civilisation se fera mieux que prévu, bien que presque intégralement au près, puisque les vents dominants soufflent du nord à l’ouest, nous profiterons des périodes de calme pour gagner quelques miles au moteur, et bien que quelques tempêtes malvenues nous aient obligé plusieurs fois à faire demi-tour et à renoncer à l’étape du jour, le temps fût plus dégagé qu’à la descente. Cela nous permit de goûter les changements rapides dans l’aspect de la végétation, qui sont le reflet des changements climatiques. 
La partie est du canal de Beagle jouit d’un climat plutôt sec, mais à 40 miles à l’ouest d’Ushuaia les nuages gagnent rapidement les 8 octas. Lorsqu’on remonte vers le nord, les paysages de pierre et de glace qui sont le décor marquant du sud-ouest de la Terre de Feu, se garnissent peu à peu de verdure. D’abord uniquement sur quelques dizaines de mètres d’altitude, seulement sur les faces est, donc à l’abri du vent dominant. L’extrémité ouest du détroit de Magellan est presque pire par son aspect que les ilots du Cap Horn. La roche est nue, et on dirait que le granit lui même est victime de l’érosion éolienne. Cependant, vers le nord les arbres gagnent du terrain; ils peuvent être grands dans les endroits cachés, et on en trouve parfois sur les faces au vent. Au canal Conception vers 51 sud, la végétation essaie d’escalader le relief jusqu’au soumet sur les faces sous le vent, à moins que l’altitude et la neige ne l’en empêchent. A partir de Puerto Eden (49” 30’), qui porte finalement bien son nom malgré la pluie diluvienne, le vert envahit petit à petit les deux rives du Canal. Enfin une fois passé au nord du golfe de Peñas, on a presque l’impression qu’il fait chaud. Les reliefs sont intégralement envahis par la chlorophylle sous toutes ses formes. Il y a quelque temps maintenant que les Williwaws ne sont plus qu’un souvenir pittoresque. Vers 44 sud, au sortir de l’archipel des Chonos c’en est fini des climats austères, il pleut toujours beaucoup, mais en ce mois d’avril (automne) le thermomètre atteint parfois 20 C.  Faut-il s’en réjouir, ou regretter de façon un peu masochiste le havre de verdure et d’eau et l’œil inquisiteur de la loutre où de l’otarie ?

L’équilibre est-il chez les gens de Puerto Natales, Punta Arenas ou Ushuaia, qui savent comment et où sont leurs villes, et n’envisagent pas vraiment d’aller ailleurs. Ou comme ce pécheur rencontré au hasard d’une dépression au nord du Golfe de Péñas, passant les mauvais jours dans un des mouillages les plus isolés du globe, et les bons jours à pêcher en haute mer entre 4110 et 53” sud, mouillant la nuit dans la houle par 10011 m de fond, et qui fait la sourde oreille quand sa femme lui demande de trouver un emploi à terre. Mouiller ses 3000 m de lignes de fond dans la houle du sud, avec ses six équipiers c’est plus qu’un métier, car les conditions sont intolérables, mais c’est là le bonheur pour lui. A écouter son discours il semble que ce soit la drogue que lui offre sont pays, plus saine que le crack, et sans doute moins dangereuse. C’est aussi cette drogue là que j’ai recherchée et trouvé sur les Océans, sur les sommets, en plongée, si mon discours vous plait et que vous avez un minimum de condition gouttez-y. Dans ces décors où la vie semble si difficile, vous rencontrerez ceux qui y vivent, hommes et animaux, qui ne sont que quelques uns, mais vous les remarquerez et ils vous remarqueront, car nous nous efforçons tous sous les mêmes ciels 4e maintenir l’entropie de notre tanière. Il n’y a pas de combat contre cette nature, ce n’est pas le but, ici la civilisation machiniste n’a pas de prise. Il faut juste négocier avec elle l’usufruit du peu de confort possible. Ainsi devaient vivre les indiens d’avant, en cueillant chaque jour ce qu’ils pouvaient de vie à l’eau de là.

Ces lieux sont de ceux que l’on regrette une fois qu’on en est sorti, en regardant une photo ou en lisant ces lignes, navigant vent portant dans l’alizé tiède ; là ­bas, plus sud, là où nait l’alizé, au large des Chonos, commence et finit le récit.

Que faut-il retenir de ce voyage? Est-ce l’exceptionnel des sites> des couleurs1 l’impression de pénétrer dans un domaine où l’homme civilisé normal ne peut plus vivre, et où l’élément liquide vous tolérera si vous êtes attentif à ses humeurs fantasques ? Où bien est-ce la rigueur du climat, pluvieux à l’extrême et parfois si mauvais que, même dans ces canaux où la mer se forme peuil peut-être impossible de remonter le vent. Il faut payer cher en temps et en matériel pour que le bateau soit prêt à tout, et permette de côtoyer les glaciers marins et pousser quelques growllers. Les journées de très mauvais temps se passent à l’intérieur avec les chaussettes et les 10 paires de gants qui essaient de sécher au dessus du poêle. On peut se promener à terre dans la partie est du canal de Beagle, il y de belles forêts primaires sèches. Mais dans le reste des canaux, si l’on peut marcher à terre, c’est que les vents interdisent la présence de la forêt humide, et si elle est présente, celle-ci ne peut être visitée que sur quelques centaines de mètres et en ciré complet tellement il y a d’eau sur les arbres, les mousses, les moisissures, les lichens humides, et les buissons résineux.
Vous verrez les dauphins venir vous rendre visite dans les fiords solitaires; le souffle des baleines, qui chassent à la rencontre des courants de marée, les albatros que vous n’intéressez pas, et les pétrels géants qui jouent avec la trainée des voiles. Si vous êtes courageux vous irez plonger dans l’eau claire et glaciale des tombants. Si vous randonnez sur l’ile Navarino (l’ile de Puerto Williams) dans certains fiords du canal de Beagle, vous rencontrerez les castors, qui vous étudieront derrière leurs moustaches, en savourant quelques branchages tendres. Au nord dans la forêt impénétrable, vous saluerez les passereaux pas farouches qui viennent vous dévisager à deux mètres ; de retour sur la grève, les oies, et les cormorans, et sur l’eau lisse de ce lagon les canards-vapeur qui fuient droit devant eux sans se soucier de savoir si la direction choisie va les éloigner de la cause de leur fuite. Mais la pluie…Tout cela peut faire rêver conne j en ai rêvé il y a longtemps en lisant Slocum, ou Poncet, mais au bout des semaines, cela peut devenir routine; les manœuvres scabreuses dans les mouillages sont votre nouveau métier, marin ! Vous n’êtes plus un plaisancier.