Partie de pêche de lebrisac et de ses acolytes


Avec l'accord des artistes, je ne résiste pas au plaisir de vous raconter ma version du périple du petit tri de Lebrisac entre La Baie de Somme et Roscoff. Votre serviteur ayant abandonné le bord dans ce joli coin de Bretagne, j'espère que les deux autres protagonistes vous feront part de la suite... Bon ! Je vous préviens, ça va être un peu long. Soyez indulgent !

« M…e !!! mes affaires sont trempées ! »,

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telles furent les première paroles de marin de Lebrisac qui avait mis son sac au fond de l’annexe pleine d’eau du port de St Valéry sur Somme. En arrivant devant son Corsair F27, je me suis dit que c’était un bien petit bateau pour le périple que nous avions projeté : 370 milles entre Le Crotoy et Lorient sur un trimaran de 8,25 m. Un WC chimique sous la couchette avant ou un seau

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pour les besoins élémentaires.

Un réchaud à alcool

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et une pompe manuelle pour l’évier. Même pas de moteur diesel, juste un 10CV HB avec 25 litres d’essence. Un panneau solaire mais pas de vraie recharge de batterie, ça signifie pas de pilote, des feux de route à la portion congrue. Pensez donc ! Moi, dans mes eaux basques, je me ballade sur un Océanis

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avec tout le confort, le gaz à tous les étages et une salle de bal pour salle d’eau.

Habitué des eaux du sud-ouest, j’avais envie de découvrir autre chose, de naviguer sur d’autres bateaux, sous d’autres latitudes et puis, si ça peut rendre service, c’est encore mieux. Alors, va pour ce convoyage. Ca fera toujours plaisir au copain d’Hisse-et-Oh que je prends toujours plaisir à lire…

Bonjour, c’est Kiki, pour l’embarquement… premier contact téléphonique avec Franck qui nous rejoint.

Faut pas mollir ! On n’a pas 4 heures devant nous. Faut sortir de la Baie de Somme juste à l’heure… Sinon ça repousse à la marée d’après. Eh ! C’est qu’on a prévenu nos épouses, le Kiki et moi. Ca ne durera pas longtemps. 48h si tout va bien, sinon 1 jour de plus. C’est que ça va vite un trimaran. 10 kt de moyenne sont une base très raisonnable. Préparation rapide du bateau, Jean-François avait déjà tout prévu d’avance. Mais pas Kiki qui, parti un peu vite, a oublié son équipement personnel sur son bateau. Bilan : juste une veste imperméable, même pas faite pour le bateau. En jeans et docksides et pas de ciré, ça promet !

Vent 25 Kt de face, sortie au moteur obligatoire, celui-ci déjauge de temps en temps et hurle son désaccord. La vitesse est faible face au vent qui monte encore. Ca y est ! On est en mer. A nous la mer du Nord et les bords de louvoyage. On part sous 2 ris et foc (petite surface, donc en tout ou rien). Plus tard, nous jugeons que le bateau n’est pas assez appuyé, donc on repasse sous 1 ris. Y a pas grand monde dehors. Le vent monte un peu… On avale péniblement la salade de riz

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que Jean-François avait préparée dans des tupperwares la veille.

Le beau-frère de JF, ancien marin de la Royale qui joue le rôle du routeur, nous annonce un renforcement du vent à 35 kt, pluie et du mauvais temps dans le nez. L’équipage décide de relâcher à Dieppe, histoire de laisser passer l’orage. Au près serré on fait 7 kt vers le port en route parallèle avec un croiseur au loin. Puis on relâche un peu d‘écoute… La vitesse monte à 12 kt sans forcer, le bateau va bien, il semble enfin respirer. Nous filons sous les embruns, les vagues qui assaillent le pont et le cockpit du petit trimaran. Kiki est complètement trempé ! 12 kt… Moi j’avais jamais vu ça sur mon bateau caravane full tupperware… Le croiseur qui fait route parallèle avec nous semble avoir passé la marche arrière… Il s’éloigne très vite, ou plutôt le port semble avancer très vite vers nous.

On entre dans le chenal, Kiki à la barre, les autres à l’amarrage et aux pare-bat’… un employé du port nous indique un emplacement à côté d’un Bavaria 42 hollandais tout neuf. Lebrisac, fidèle à son pseudo qui signifie « brise tout », attrape la hampe du Bavaria pour hâler le bateau vers le ponton. Il semble tout étonné que ce morceau de bois lui reste dans la main. Manœuvre experte du Kiki qui ne connaissait pas franchement le bateau. Amarrage, rangement. Inventaire des petits travaux à réaliser : remise en place de la latte forcée supérieure, couture d’un coulisseau avec un morceau de sangle et remise en place de 2 ou 3 bouts. Rien que de la mise au point après une remise à l’eau et les conditions météo que nous avons subies.

Discussion en anglais avec le hollandais qui met sa hampe n’importe où, et avec Kiki on part à la recherche d’une hampe de remplacement et d’une combinaison genre Kway. Retour bredouille pour la hampe mais pas pour la combine Kway. Kiki a trouvé un truc pour pêcheur pas trop tarte et pas trop cher. Bricolage, pâtes aux jambon (c’est le Menhir qui s’y colle) et dodo… Entre deux rafales et trombes d’eau, j’ai bien entendu quelqu’un courir sur les trampolines. Au matin, on a découvert un trimaran superbement amarré et entendu des ronflements sonores jusqu’à 10h00. Kiki et moi nous sommes dit que le skipper avait dû passer sa nuit à protéger son fidèle coursier des coups de boutoir du vent. Ca méritait bien un p’tit déj façon croissants et chocolatines et un avitaillement en chocolat et gâteaux divers pour les nuits à venir.

Avant de partir, je négocie en anglais avec le hollandais les dommages de guerre et du bris de hampe. 20€, on s’en sort pas trop mal. Lebrisac s’en sort moins bien avec le port de Dieppe : 50€ la nuit pour un tri de 8,25m. Même à Hendaye, les bateaux de 16 mètres payent moins. Du vol, je vous dis. Lebrisac leur a dit aussi, mais ça ne leur a fait aucun effet !

Bon ! On s’en va avant qu’ils ne nous en redemandent… Direction le Raz Blanchard… Un petit 15 kt de vent toujours dans le pif ! Il doit y avoir une malédiction pour les trimarans en direction de la Bretagne ! Enfin, temps maniable et superbe soleil à venir. Faut pas se plaindre. L’équipage tourne à la barre et l’ambiance est bonne. Faut dire que le Kiki et Lebrisac sont pas des tristes…

Le soir nous surprend du côté d’Antifer avec votre serviteur à la barre qui zigzague entre les cargos au mouillage d’attente. En vue, une bouée rouge… écart de barre à 20 mètres… M…e ! La bouée nous suit !

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Panique à bord. On relève la dérive. Non ! C’est le safran qui coince. Faut relever parce quand le bout va se tendre, c’est le safran qui va casser. Et puis… non ! Au bout du bout y avait rien. On a gagné une boule pare bat’. Vous savez… celle qu’on met à quai quand y a des palplanches et que les pare-bat’ ne servent à rien (plus tard cette boule va bien servir à Roscoff…). Je me fais chambrer sur mes qualités de barreur/pêcheur. Mais Lebrisac rit jaune. On défait le bout et on range le tout. Le bateau est encore plus lourd.

Notre routeur nous parle des modification de direction du vent à venir dans la nuit. Lebrisac nous concocte une route aux petits oignons tenant compte du vent et des courants. Kiki va dormir, moi un peu vaseux aussi. C’est sans fausse honte qu’on laisse Lebrisac seul avec le vent qui monte un peu mais n’adonne toujours pas. Le bateau tape violemment au près serré à 7 kt. Boum… Boum… Boum.. La dérive cogne aussi dans le puits de dérive juste à côté de ma tête. Je finis par me coucher par terre sans franchement dormir. Bon ! 4 heures… Je remonte et gueule à la face du monde que ce bateau est petit, qu’il tape, qu’on ne peut pas dormir… Je demande quand même au barreur/skipper/propriétaire s’il souhaite qu’on le remplace. Non ! Il ne veut pas. Il se sent bien.


Ouais… C’est ça ! Alors pourquoi il zigzague au point de virer sans franchement le vouloir ? Et puis, pourquoi il m’engueule d’abord ? Comme si c’était moi qui la tenait, cette barre. Beau joueur Lebrisac… il dit que finalement qu’il va pas si droit que ça et qu’il est peut-être un peu fatigué. Il veut quand même rester à la barre. Par contre il fumerait bien une petite cigarette. Il m’envoie en bas les chercher. Quelle erreur ! Je remonte en vitesse et me jette sur le trampoline bâbord. Trop tard ! J’ai renvoyé les raviolis à la mer, non sans baptiser le cockpit. Je suis effondré entre la hiloire et le trampoline. Lebrisac me dit « t’en fais pas, la mer nettoiera ». Kiki remonte fissa du carré pour crocher ma longe. La mer est forte. On ne prend pas de risque ! Lebrisac me tend une bouteille d’eau. Du coup, après plusieurs heures vaseuses, ça va nettement mieux et je prends la barre.

Plus tard dans la nuit, comme prévu, le vent adonne et avec le courant favorable on peut lâcher un peu d’écoute. Nous passons devant le Raz Blanchard au soleil levant sous gennaker, au travers, à 18 kt surface. Le bonheur… Kiki barre avec une régularité de métronome. Le bateau ne dévie pas de son cap.

En fin de matinée on laisse Aurigny sur Bâbord, direction les Casquets. Courant contraire, on se traîne et on retrouve notre allure habituelle, le près serré… Puis après avoir enroulé les Casquets, le vent tombe… pétole. On lance le spi. Il pend lamentablement… On commence à trouver le temps long. En fin d ‘après-midi, le vent remonte lentement, à peine une risée… Le soir nous trouve à 5 kt au soleil couchant, grâce au courant. Puis le vent tombe à nouveau… légères risées. On se coince à 6 kt sur le fond avec du courant favorable et une mer d’huile. Ce qu’il y a de bien avec un tri, c’est que c’est comme un Hobbie. Ca créé son vent apparent et que tant qu’il le garde, il avance. Le courant nous ramène vers la côte, ce qui ne fait pas franchement notre affaire. C’est pas grave, avec la renverse, on rattrapera un peu de cap.

Avec cette belle lune qui éclaire bien, on navigue sans feux de route. Mais à la barre, je trouve bizarre ce gros bateau plein de lumière qui nous suit et fonce sur nous à grande vitesse. On allume les feux de route, on éclaire la voile. Rien n’y fait, il nous fonce dessus. Comme personne à bord n’a de CRR, on n’a pas franchement envie de beugler dans la VHF portable, soupçonnant ce bateau malotru d’appartenir aux gabelous. JF amène le drapeau de pirate qu’il avait gréé, se jette sur le démarreur du hors-bord… qui fait grève. Petit stress ! A 100 mètres, le bateau fait demi-tour. C’était bien les autorités qui devaient se demander ce que c’était que ce contact radar sans feux. Gagné ! En attendant, terminé nos 6 kt grâce au vent apparent et courant… Lebrisac insulte tous les gabelous de la Terre. On bouchonne lamentablement et on est dépalé vers la terre.

Petite discussion à bord. Nous décidons de démarrer le moteur et d’avancer dans la bonne direction. On finira bien par toucher du vent. Ainsi fut fait. Puis, je change d’avis me disant que les réserves de mélange ne sont pas éternelles, d’autant que la nourrice de 12 l est déjà presque vide après notre sortie contre le vent de la Baie de Somme. Et puis les dernières infos météo n’étaient pas très optimistes. F2 ou 3 B au mieux et le lendemain après-midi.

Avec les courants, pas question de passer le Rail d’Ouessant et le Raz de Sein sans un peu de vitesse. Je propose de nous rapprocher du premier port utile pour ravitailler en carburant. Kiki est partisan de continuer. Lebrisac ne dit rien et consulte la carte et les instructions nautiques. Petite discussion. Allez ! On va sur Roscoff à 4 heures de route. Ca va pas franchement dans la bonne direction, mais au moins, on aura du carburant pour passer les phases critiques, s’il n’y a pas de vent.

Je me colle à la barre au moteur et mets le pilote. Il y aura bien assez de jus jusqu’à Roscoff. Je me donne deux heures de quart, après je passe le relais à qui voudra. Je vise Yeu. Ca y est, je laisse le bébé à Kiki. Je rouvre un œil au soleil levant en arrivant à Roscoff. Le Kiki est concentré. Quand on ne connaît pas, pas facile de se repérer. Il y a plusieurs mouillages avec des corps morts. Préparation des amarres et pare-bat’… On cherche le port dans la rade. Attention aux cailloux. Y en a, et même pas signalés. Après quelques zigzags, on cherche les pontons. On entre dans le port. A la barre, j’accoste un quai, faisant remarquer (tout de même !) à quel point la manœuvre était belle. Du coup applaudissements de l’équipage après la mise en boîte de la bouée rouge (on a son honneur tout de même !). Mais surprise ! Pas de pontons et le port découvre à marée basse. Sous les coques, 1 mètre d’eau et des cailloux. La marée n’est pas encore basse, mais ça ne va pas traîner. Pas question de se laisser aller. On nous indique le port des ferries où là, il y a du fond. Re-manœuvre d’accostage contre un quai à palplanches. Merci la bouée rouge ! Il est environ 10h00.

Le capitaine de port (en uniforme) nous aborde. Faut pas rester là ! C’est réservé aux chalutiers et aux ferries ! Lebrisac lui raconte notre histoire. Et là, changement de ton. « Je vous envoie une voiture pour vous conduire à la pompe. Elle est à 3 km. C’est trop loin ! Vous allez mettre trop de temps à pieds chargés de vos bidons» Merci Monsieur. Lebrisac part en voiture, chargé de bidons vides.

Rangement du bateau, en attendant. Le téléphone portable sonne. Ce sont tous les messages qui nous parviennent. Parmi eux, ceux de notre routeur et de ma femme. La pétole continue jusque dans la nuit. L’Amirauté commence à trouver le temps long, d’autant que l’année, j’habite à 250 km de chez moi et que depuis le début des vacances, 2 semaines et demie plus tôt, on ne s’est quasiment pas vus. Avec la pétole qui va durer, je suis pas près de rentrer sur mon sud-ouest.

C’est décidé ! J’en discute avec Kiki et Lebrisac qui comprennent. Je débarque

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et les laisse terminer à deux. Je suis triste de les laisser et de ne pas finir à Lorient comme prévu, d’autant que l’ambiance était géniale et l’entente quasi-parfaite. En plus, j’avais vraiment envie de connaître Groix et Port-Tudy dont tous ces bretons parlent avec des trémolos dans la voix. Mais nécessité fait loi…

En naviguant avec Kiki et Lebrisac, j’ai fait connaissance avec deux marins expérimentés aux personnalités très différentes, l’un extraverti, l’autre réservé. Mais deux personnalités super-intéressantes. Je suis vraiment heureux d’avoir fait ce voyage avec eux.

Franck et Jean-François, merci de ces moments que nous avons passés ensemble. Si vous avez besoin d’un sac de sable pour compléter votre équipage, c’est quand vous voulez…

la suite écrite par Lebrisac

Cela fait une heure que nous tirons des bords dans le chenal du four et rien à faire, nous n’avançons pas plus vite que le courant. Le vent est à nouveau tombé. Rien de grave, mais nous avons Sein à passer dans la même marée et il est déjà tard. Je regrette déjà de ne pas avoir poussé jusqu’au Fromveur pour bénéficier de vent frais plus longtemps. Pourtant cet après-midi, Kiki s’est bien éclaté entre Roscoff et l’entrée du chenal. Du Nord-Est à 20 Kt, des bords de grand largue à 14 Kt, on était en avance. Tellement en avance qu’il a profité de mon sommeil pour s’amuser à tirer des bords inutiles. Sacré Kiki, le traceur du gps a parlé.
Cette navigation devient épuisante pour les nerfs depuis notre départ du haut de la Manche. Déjà le quatrième jour et on ne progresse que par à coups. Du vent dans le nez ou pas de vent. Seulement quelques heures de positif sur la route directe. Pourtant, 370 milles c’est au plus deux jours et deux nuits de navigation. On ne peut plus se fier aux statistiques. Par contre les fichiers grib sont au top, tout ce que prévoit notre routeur se produit aux heures annoncées. Il y a deux nuits, on a marché comme des fous avec les conditions météo disponibles. Aller chercher des contre-courants au fin fond de la baie de Seine sur Grandcamps, remonter avec la bascule de vent vers Barfleur et lâcher les chiens au large de Lévy pour dévaler le Cotentin à 18 Kt de nuit, voilà qui annonçait une sérieuse remontée sur notre tableau de marche. Même le routeur était content. Mais aux Casquets aussi le vent est tombé. Et la nuit dernière c’était pétole et dérive au large de la Bretagne Nord.

Aujourd’hui c’est mardi, et le four ne veut pas défiler à la bonne vitesse. Il faut se résoudre à démarrer à nouveau le moteur. Honte à nous. Un trimaran à moteur ! Il est hors de question que je tienne le manche dans ces conditions. Kiki ne veut pas non plus. Alors c’est Lolote qui s’y colle. Lolote à une bonne bouille, surtout depuis que j’ai souligné au marqueur ses jolis yeux. Et puis elle agite régulièrement son bras droit pour nous saluer. Lolote n’a qu’un bras mais il est télescopique. Je suis assez content de ce bricolage avec la barre relevée et le stick, ça fait une présence féminine à bord. Alors, c’est à cinq Kn que Lolote et son moteur nous emmène vers Sein. Sein, notre Raz, la délivrance avant la dernière ligne droite. Tous les caps sont magiques sur ces côtes, mais Sein, c’est la porte d’entrée vers le soleil, vers les zones sans courant ou presque, vers la mer houleuse et sans clapot. Et puis avant il y a le passage des baies, les côtes sauvages, magnifiques, ciselées. Un spectacle grandiose qu’on ne peut imaginer. Allongé sur le trampoline, j’en oublie que je suis mouillé depuis le départ, que je ne sèche pas, qu’il n’y a plus assez d’alcool à brûler pour faire du café. On est en retard, on se traîne, alors on profite du paysage. C’est rare de pouvoir regarder la côte du bateau. D’habitude c’est un œil sur les voiles, l’autre sur les vagues. Aujourd’hui c’est un tableau permanent qui défile sous nos yeux et nous sommes dans le cadre. Kiki me propose un risoto de canard tiède et une bière Allemande. C’est bon. On est heureux. On ne sait pas comment le dire, alors on cause. Allez viens sur le pont Jérôme, sort de ta cabine étriquée. Vient voir ce tableau de maître. On ne t’en veut pas pour la bouée que tu as attrapé avec le safran au large d’Antifer. D’ailleurs elle est pendue au balcon arrière comme un trophée. Ton trophée ! Et puis, ces deux heures d’escales à Roscoff, amarré devant le Ferry, c’était plutôt rigolo. Grâce à toi on s’est transformé en super tanker, 35 litres d’essence à bord ! Et on est en train de la brûler en ce moment. Comment aurions-nous fait ? Encore une nuit à la dérive certainement. La dérive au large ça va, mais près des côtes c’est plutôt fatiguant.

Au loin, peint sur la roche, on distingue une voile blanche qui profite certainement d’une thermique pour se montrer. La nuit va tomber bientôt. On risque de passer le raz avec des courants défavorables. Des dauphins viennent taquiner le flotteur tribord. Le raz est parfaitement visible maintenant. S’ils nous accompagnent c’est bon signe. Sinon… On est hypnotisé par le raz. Le soleil qui se couche dans notre dos est comme un projecteur sur une scène. L’artiste est là magnifique et inquiétant. Il nous attend mais n’a pas l’air d’être pressé. Un bateau de pêche croise notre route et me sort de ma somnolence. Il est temps de réfléchir. Entrer dans le raz n’est pas un problème, c’est un aspirateur, mais l’expulsion me gêne, surtout de nuit. Comment aborder des siphons rendus invisibles dans le bon sens, où trouver les courants qui vont nous porter en pleine renverse ? Trois possibilités s’offrent à nous : sortir à gauche pour bénéficier de contre-courants mais c’est prendre le risque de se priver du vent promis dans la nuit, sortir à droite pour avoir un peu d’air frais mais cela rallonge la route, reste le centre… et évidemment c’est lui qu’on choisit ! Chaque coque tape à son tour, le moteur hurle, Lolote agite son unique bras dans tous les sens. Parfois on aperçoit les bords d’un siphon dans les rayons de la lune, un coup de barre et accélération garantie. Souvent on ne voit rien, le bateau plante, la barre vibre nerveusement, un flotteur se cabre, l’autre demandant grâce puis la coque centrale prend le dessus pendant trente secondes et ça recommence. Un tri dans les siphons, ce n’est vraiment pas drôle ; chaque coque veut aller de son côté ! Bref, encore un raz de passé à la limite du temps réglementaire, mais mieux qu’aux Casquets où on est resté planté plusieurs heures avec l’impossibilité de dormir pour cause de vacarme insoutenable. Je les revois tous les deux lorsque j’ai bondi de ma bannette en gueulant comme un veau. A chaque coup de frein je glissais en avant la tête cognant dans la cloison. Je croyais qu’ils étaient en train de taper à coup de masse sur la coque…

Dans la baie d’Audierne, on décèle un léger filet d’air et on profite de la vitesse acquise au moteur pour établir les voiles. Maintenant je suis seul sur le pont, Kiki doit remonter dans deux heures. Lolote reprend du service. Il faut tenir coûte que coûte ce filet d’air, prendre de la vitesse, chercher les adonnantes et les exploiter. Je règle mon décompte bipbip toutes les 10 minutes afin de lancer un flash sur les penons et régler en permanence la barre d’écoute et la drisse de foc. Le bateau glisse à 7 Kn puis 7,5 kn, incroyablement stable. Lolote est silencieuse. Le flotteur babord reste suspendu comme accroché à l’air. Le réglage est parfait sauf la troisième latte un peu mollasse. Affaler maintenant pour régler serait idiot. A inscrire sur la liste : emmener un singe pour régler les lattes en route. Oui c’est le bonheur.


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(NDLR) La troisième latte étant hors d'atteinte sans affaler, je ne vous montre que la première paire de lattes.


Dort mon Kiki, profite, je ne te réveillerai pas tout à l’heure. Je veux être seul sur le pont, égoïstement. A gauche c’est la côte qui scintille. Je scrute à droite et il y a toujours cette rangée d’arbres qui défile comme une masse noire. Suis-je dans un canal ou en pleine mer ? Pourvu qu’un arbre ne soit pas tombé au travers de ma route ! Continu à filer comme ça, tranquillement, sans bruit dans la nuit. Il n’y a pas âme qui vive sur l’eau, même la lune se cache derrière les nuages. Ca pourrait durer des jours. Déjà vingt-cinq milles d’abattu et je ne me lasse pas. Je pense à Goud qui veut essayer le tri. On a rendez-vous bientôt. Un choc violent me sort de mes rêveries, puis un bruit d’eau. Un oiseau vient de percuter en plein vol le flotteur babord. Je regarde à droite, la rangée d’arbres a disparu. Je commençais à avoir des hallucinations par moment. Nous avons très mal géré notre sommeil depuis le départ. Le temps de faire connaissance tous les trois, de chercher le vent, les courants, de ne pas avancer, nous a empêcher de s’occuper de nous. La fatigue commence à se faire sentir. Lolote se met à parler, son bras télescopique vibre. Je fonce sur le safran, un coup de torche, on traîne encore des algues. Je n’aime pas passer au dessus du balcon de nuit, mais je ne vais pas réveiller mon Kiki pour si peu. Je tente le coup du manche à balai, ça marche. Il faudra installer une lame devant le safran lors du prochain carénage. Je suis maintenant parfaitement opérationnel, réveillé, un second souffle. Le soleil devrait se lever dans une heure, allez Kiki les Glénans sont à gauche, Groix aussi. On tire au large et après on pique sur la côte pour aller chercher des adonnantes par ce vent de Nord Est qui forcit.

la fin?????? Rédigée par KIKI

Soyez indulgents, je n'ai pas de talent de narrateur comme Lebrisac et Menhir.
Réveillé avant mon quart, j’observe le boss avec sa lampe torche scruter ses voiles et affiner les réglages il est en plénitude totale, laissons le.
Au tour du kiki, la fatigue gagnant, voit surpris au large des Glénan (malédiction du destin) deux bateaux de pêche rebrousser chemin et le sondeur passé d’un coup à moins de deux mètres.
Réflexe je choque, abat et consulte la carte car ayant moyennement confiance au lecteur de cartes, lolote sourit, mais oui nous rencontrons des fonds supérieurs à cent mètres et le sondeur décroche mais préférons réveiller le capitaine qui confirme.
Le vent ayant monté d’un cran, nous déconnectons lolote qui se bidonne.
Du près toujours du près, beau levé de soleil sur Groix, au moment d’un quart je lance comme ça, « si on continuait », réponse du cap’taine « ok mais avec des fringues sèches » et on se dit : « menhir a raté le meilleur ».
A l’entrée du chenal de Lorient malgré la fatigue on se pique au jeu de régater avec un first 385 qui arbore des voiles ad hoc.
Vous auriez vus la tête des régatiers se faire passer par deux gars mal rasés légèrement ébouriffés dont un en tenue fripée et l’autre en ciré de pêcheur d’eau douce, vexés ils finiront par nous repasser.
Puis cet accueil sympathique façon arrivée de course, mais dès notre amarrage un sentiment bizarre envahi les deux compères, la réalité de la vie terrestre les rattraperaient ils ?
Pourtant la famille de MONSIEUR Lebrisac est bien plus charmante que la Manche par six au près.
J’ai vécu une belle aventure avec deux marins et bout en train, désormais il y a quelques choses qui nous lient.