L’utopie de la voile pure


Au détour d’un forum de HEO sur la sécurité, je me suis amicalement pris le bec avec Robert au sujet de la place du moteur dans la sécurité en voilier. Ma vision réduisant le moteur en élément de confort, il me suggéra cet article vantant non les mérites de la voile pure, mais l’organisation de la sécurité à bord sans diesel ni hors-bord.


De la voile pure

La voile pure est à proscrire. Sauf quand il s’agit de se priver des ports encombrés ou des rivières étroites, personne ne voudra partir sans moteur (s’il y en a, qu’il lève le doigt !). Je me souviens de mes navigations aux Glénans sans complexes et sans moteurs, les encalminades devant l’embouchure de l’Odet la nuit tombante, les entrées d’écluse systématiquement bordeliques a Paimpol et les journées perdues lorsque levés trop tard, nous rations le courant favorable du Jaudy.

Mais la vénérable institution a t’elle mis nos vie en danger en nous refusant l’assistance de la brise Perkins? Certes maintenant tous les bateaux des Glénans possèdent on bon moteur bien entretenu mais c’est moins je crois pour assurer la sécurité que pour éviter les aléas susmentionnés.


Du sentiment d’invincibilité

J’écris ce paragraphe par pure provocation sachant que les adeptes d’HEO sont responsables et éclairés.
Les plaisanciers de nos côtes, vous le diront: « Si j’ai un pépin, j’ai un bon Volvo de toute façon ».
Je me rappelle ce bateau arrivant à Tréguier alors même que venions d’y arriver (au moteur) pour nous mettre à l’abri d’un bon noroît de 7 bf qui soufflait dehors. Ce plaisancier venant de jersey avait déchiré son génois sur enrouleur au milieu de la traversée. Il avait affalé les voiles et mis le moteur toute sur Tréguier. Heureusement que son diesel marchait au poil…
Renseignement pris, il avait un étai largable et probablement un tourmentin. Quel bizarre sentiment lui avait fait croire qu’il était plus en sécurité au moteur plutôt que de continuer sa route sous voilure réduite?

Cette attitude est tout à fait symptomatique de beaucoup de plaisanciers qui se sentent malheureusement moins à l’aise à la voile qu’au moteur (ce qui est paradoxal sur un voilier) et souvent pour des raisons irrationnelles (ressemblance avec la voiture, sentiment qu’il y a moins de paramètres à gérer et puis c’est moins fatigant…).
Le sentiment de sécurité dû au moteur ne relève bien souvent non de l’examen rationnel mais de réflexes irréfléchis.

Passons sur ce point, car les lecteurs d’HEO, souvent en instance de grand voyage ont pensé leur sécurité et ne se laissent pas berner par des sentiments de ce genre.
Essayons plutôt de passer en revue les différentes situations où le moteur peut ajouter à la sécurité du bateau et posons-nous la question de savoir si le moteur en telle situation est réellement indispensable ou si d’autres réflexes peuvent avantageusement le remplacer.

Inutile de dire ici que ma vision est biaisée et que j’attends vos réactions et expériences personnelles.



De l’homme à la mer

Pour beaucoup, revenir sur un homme tombé à l’eau à la voile est une dangereuse perte de temps. Le préconiser dans un manuel (ou un site web) est sinon criminel en tout cas irresponsable. Une bonne manœuvre d’homme à la mer commence par l’allumage du moteur et l’affalage des voiles pour pouvoir ensuite revenir tranquillement sur la victime.
 
Inutile de vous dire que je ne suis pas du tout d’accord. Ce système de pensée découle également du fait qu’un voileux se sent en fait bien plus en confiance au moteur qu’à la voile. Manœuvrer au moteur c’est facile, c’est comme dans les ports. Manœuvrer à la voile, beaucoup de gens ne savent plus le faire. Bien souvent, on ne hisse ou déroule les voiles qu’une fois établi sur son cap pour ne plus les toucher ensuite. J’ai navigué sur le 14 m d’amis en méditerranée. Je ne me rappelle pas avoir viré de bord une seule fois.
 
La manœuvre de l’homme à la mer n’étant pas une routine, aucun plaisancier ne sait la faire (je n’en ai jamais vu!). Pourtant avec un peu d’entraînement elle est aussi facile que de prendre un catway au moteur sans vent ni courant et ce jusqu’à la force 8 (je manque d’expérience au-delà). Je ne la détaillerai pas, elle se trouve dans tous les bons manuels (p.ex. Glénans pour ne citer que mes sources)
 
Pourquoi l’apprendre si on a un moteur et que l’on a pleine confiance en lui? D’abord parce qu’elle est plus rapide à la voile qu’au moteur !
Ensuite parce que malgré la confiance dans le moteur, un petit enchaînement de Murphy peut arriver et on sera bien content de connaître un autre moyen de ramener  à bord un nageur malgré lui. Et encore dans ce cas rétorquera-t-on qu’un enchaînement est également possible à la voile et qu’on sera alors bien content d’avoir un moteur. Ce à quoi je ne saurai répondre que : « certes ! »
 


De la sécurité des mouillages

Que celui qui n’a jamais chassé lève le doigt. Au mouillage, chasser est synonyme de départ en catastrophe et au moteur. Hisser les voiles et revenir sur l’ancre à la force des bras est parfois impossible dans un coup de vent. Comment faire pour se sortir d’une situation pareille sans moteur ? Le plus simple (trop simple) est de ne pas s’y trouver ! Choisir un mouillage sûr et abrité est le commencement de la tranquillité au mouillage. Ne pas trop faire confiance à l’ancre par vent fort est aussi une sage précaution.
 

  • 1er exemple : En Croatie, ancré dans le port d’Unije, la météo annonçant un coup de Bora (ou de yugo je ne sais plus) nous avons quitté le port et essuyé le coup de vent en mer toute la nuit. Certes il faut une bonne préparation et un bon moral pour partir tout exprès se faire branler la nuit entière et probablement qu’avec un bon moteur nous serions sagement allés dormir avec un veilleur sur le pont pour ne quitter le mouillage que si l’ancre n’avait pas tenu.
  • 2ème exemple : Au mouillage dans le port de Roscoff, nous avons essuyé un terrible orage et sans l’aide du moteur nous aurions sans doute chassé jusqu’à la digue. Mais là encore, la sécurité était-elle en jeu ? Poussés sur les enrochements, sans clapot ni ressac (nous sommes à l’abri des digues) le bateau aurais sans doutes souffert mais l’équipage aurait pu sans problème rejoindre la rive.

 
Clairement, avoir un moteur évite bien des désagréments mais doit-on parler de sécurité ou de confort ? Il est sûr qu’avec un moteur, on pourra s’offrir des escales que l’on n’envisagerait pas sans lui, pour une question de sécurité. Mais ces escales ne sont-elles pas du ressort du confort.

De la panne de vent

Une bonne pétole n’est pas dangereuse sauf dans certains cas.

  • Lors d’une traversée hauturière où les provisions viennent à manquer
  • Lorsque l’immobilité nous empêche de sortir de la route d’un chalutier ou d’un cargo
  •  Lorsqu’un courant pousse au récif

 
La première occurrence est, je l’espère, assez rare pour me permettre de ne pas la commenter. La seconde est, je l’espère assez rare aussi. Je pourrais juste rappeler que traverser le rail d’Ouessant par brise évanescente, c’est faire preuve de confiance envers son moteur. A l’approche d’une dépression, ça l’est moins.
 
Le courant qui porte aux récifs, c’est aussi une bonne occasion de mettre le moteur ! Sachez seulement qu’en mouillant un mouillage sur ligne légère (le grappin de l’annexe !). C’est souvent suffisant pour attendre la renverse.
De nouveau, sortir de St-Malo par la grande porte vers les dernières heures de la journée en situation anticyclonique, c’est prendre le risque que la thermique tombe et de se retrouver dans les cailloux assez rapidement.

De l’avarie de gréement

L’avarie de gréement peut-être comparée à celle de moteur en ce qu’elle va rendre le bateau ingouvernable pendant un certain temps. Les plus spectaculaires et ennuyeux sont les démâtages. Ils sont le résultat soit d’un vent exagérément fort soit plus fréquemment de la fatigue d’une pièce soit d’un mauvais réglage. Ces derniers sont évités par une inspection rigoureuse et fréquente du gréement et des cadènes. Monter au mât une fois par mois au moins permet de surveiller les gendarmes du haubanage et les faiblesses des manchons. Inspecter le mât par la gorge permet de diagnostiquer les mauvais réglages
 
Un démâtage, s’il survient au large, occupera l’équipage un certain temps pour la conception d’un gréement de fortune (avec le tangon ou la bôme). S’il survient à la côte, il faudra manœuvrer vite, un coup de moteur pourra bien de nous tirer d’affaire.
 
Mais en navigation côtière, les sorties doivent dépendre de  la météo, le vent qui nous aura fait démâter n’aura sans doutes pas été très fort et la cause de notre avarie sera à chercher dans un problème de fatigue, repérable à l’inspection mensuelle…
 
Les autres types d’avaries (voiles déchirées, drisse cassées) sont, elles aussi, en grande partie évitables lorsqu’on apporte grand soin à l’inspection et au remplacement du matériel usé. Ne pas se contenter du génois sur enrouleur mais avoir un foc sur étai largable est aussi une sage précaution.
 


Conclusion

Ne jetez pas vos diesels ! Le moteur est un agrément indispensable pour une croisière réussie, je le sais, j’ai fait sans et c’était pas toujours Byzance.
Mais si vous voulez améliorer la sécurité de votre bateau, penchez-vous d’abord sur vos aptitudes à obstruer les voies d’eau, réfléchissez à vos conditions de survie en cas d’évacuation du bateau, renouvelez votre matériel de sécurité sans vous contenter du réglementaire, inspectez votre gréement et soyez sûrs de chaque pièce. Et surtout, si vous ne le savez pas, apprenez à manœuvrer à la voile de sorte que la navigation à la voile vous paraisse aussi naturelle qu’au moteur. Quand tout cela sera fait, vous naviguerez en sécurité sur votre bateau. Alors seulement, descendez dans votre compartiment moteur, apprenez ses circuits par cœur et bichonnez-le ; il vous permettra des choses que vous n’auriez jamais osées à la voile.
 
Pour ma part, sachant tout juste réamorcer le circuit d’essence d’un diesel, je navigue en toute sécurité sans trop lui faire confiance considérant mon mât et ma godille comme ses meilleurs garants.