L'oie sauvage en polynésie


Nous avions envie de passer du bon temps à découvrir Bora-Bora, Raiatea, Huahine...

Les aspects techniques du bateau sont abordés dans cet article : http://www.hisse-et-oh.com/articles/article.php?article=641


Raiatea, mars 2009 :

- Dis-moi, c'est quoi au juste la Polynésie ?
- Hou c'est grand... Imagine un immense triangle d'environ 3600M de côté (soit la distance entre le Sénégal et l'extrême nord de la Norvège) avec la Nouvelle Zélande au sud, Hawaï au Nord, et de l'île de Paques à l'est...
- Et après la Polynésie ? vers l'ouest, sur la route des bateaux de voyage, qu'est-ce qu'il y a ?
- Hé bien, tu arrives en Mélanésie avec les Fidji, la Nouvelle Calédonie, la Papouasie / Nouvelle Guinée...
- C'est tout ?
- Non, encore plus à l'ouest c'est l'Australie bien sûr, et au nord de la Mélanésie tu as la Micronésie avec les îles Marianne, Gilbert, Caroline... Tu vois, le Pacifique est vaste... Polynésie, Mélanésie, Micronésie, le découpage semble être ethnique, comme tu as pu le constater un tahitien ne ressemble pas à un canaque de Nouvelle Calédonie...
- Et notre Polynésie à nous, la Polynésie française dans tout ça ?
C'est un ensemble grand comme l'Europe, composé de cinq archipels : Les Marquises, les Australes, les Tuamotu, les Gambier, les îles de la Société.
- Fichtre, nous n'aurons jamais le temps de tout voir ! Alors, qu'est-ce qu'on fait cette saison 2009 ?
- Nous allons rester sur les îles de la Société. Après l'étape Venezuela / Tahiti de l'année dernière, on se pose une saison et on va passer du bon temps dans ces îles que les guides décrivent comme paradisiaques...
- OK, mais les îles de la Société, c'est quoi ?
- Les îles de la Société elles-même se composent des « Îles du vent », avec Tahiti et Moorea pour les plus connues, et des « Iles sous le vent » avec Huahine « la Sauvage », Tahaa « l'île Vanille », Raiatea « l'île sacrée », Bora-Bora « la Perle ».
- Houa ça fait rêver çà... Allez, c'est parti pour les Iles sous le vent !

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Nous retrouvons notre Oie Sauvage aux Chantier Naval des Iles (CNI) à Raiatea. http://www.cnislv.com/ L'atmosphère sur ce chantier est détendue, tout le monde a le sourire. Le vendredi, en fin d'après midi, un « pot » est organisé dans l'atelier de mécanique. S'y retrouvent les employés, les clients et la Direction. Les bateaux qui ont été mis à l'eau dans la semaine offrent la caisse de bière; ça discute, ça rigole, ça danse parfois... On est assis sur un pot de peinture, sur le chariot élévateur... Le dimanche à midi, c'est Pascal, l'électricien qui organise un barbecue au bout de la jetée... On se sent chez soit, c'est bien...

Après la remise en condition du bateau, nous mettons à l'eau. Nous avons eu peu de travaux, le bateau est arrivé jusqu'en Polynésie sans problème. Après avoir fait les pleins, nous partons découvrir Raiatea. La particularité des îles sous le vent est que l'on navigue à l'intérieur des lagons. La mer y est donc toujours belle alors que la grande houle du Pacifique brise souvent furieusement sur la barrière de corail. Les bons mouillages ne sont pas légions. En effet si la carte montre de nombreuses baies et criques, le lagon est profond, 25 à 45 mètres, et il n'est pas toujours commode de mouiller. Pour notre première nuit, à l'ouest du motu Haio au sud de l'île, l'endroit est superbe (16°54'3S / 151°25'6W) nous laissons filer notre ancre sur 28 mètres de fond avec un peu d'appréhension. Le lendemain nous croisons les doigts pour que le mouillage ne soit pas pris dans les patates de corail. Mais non, le guindeau arrache vaillamment les 80 kg que représentent la pioche et 30 m de chaîne à pic... Par la suite nous déciderons de ne pas mouiller par plus de 15 mètres de fond ce qui est ma limite raisonnable en apnée.

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Dans la baie de Faaroa on trouve des bouées sur lesquels on peut s'amarrer gratuitement (16°48'4S / 151°24'5W) D'autres coffres sont proposés aux plaisanciers dans les îles, mais ils sont généralement payants car ils appartiennent soit à des restaurants soit à des chantiers. Durant quelques jours nous allons explorer la zone à pied et en annexe. Nous troquons des fruits et le poisson pris par Tehina et Victor, un couple qui pêche dans une minuscule embarcation, contre des boites de cassoulet et de choucroute.
Au fond de la baie de Faaroa, il est possible de remonter une jolie rivière en annexe. A environ un demi-mille de l'embouchure, une famille a mis en valeur un jardin de fleurs exotiques que l'on peut visiter gratuitement.

Nous nous attendions à des mouillages encombrés, il n'en est rien. Nous sommes souvent seuls ou avec deux ou trois autres voiliers. Les polynésiens sont amicaux, dans les village tout le monde se salue. Au passage protégé pour piéton, les voitures nous laissent passer. La douceur de vivre ici n'est pas une légende. On respire, nous sommes heureux de retrouver un environnement somme toute « normal ». J'ai assez mal vécu l'hiver 2008 / 2009 en France : Gaza écrasé sous les bombes, l'impression que le monde marche sur la tête...

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Nous voici sur l'île de Tahaa qui n'est séparée de Raiatea que par le lagon. Le mouillage le plus fréquenté se trouve à l'est, près de la passe Toahotu en 16°38'2S / 151°25'6W sur un platier, par 5m de fond. On y voit des raies et parfois quelques requins pointes noires.
Ne manquez pas le Tahaa Maitai, le restaurant de Bruno, qui est situé au fond de la baie de Haamene dans le village du même nom (16°38'23S / 151°29'4W) Ce sympathique chef cuisto propose deux coffres pour les clients à quelques mètres devant sa terrasse. (2,20m maxi, fond de vase) C'est l'une des meilleures tables de Polynésie à des prix raisonnables. Son mai-mai (dorade coriphène) à la vanille est sublime. (Si vous êtes sympa, vous aurez même la connexion WIFI gratuite)

Du village de Haamene, une jolie piste de jungle monte en une heure et demie jusqu'à un superbe point de vue de vue qui domine toute la baie.
A l'ouest de Tahaa vous pouvez mouiller à proximité de l'hôtel du Tahaa Spa and Resort, un palace comme il y en a beaucoup dans ces îles (16°36'3S / 151°33'4W) Dans le bleu turquoise du platier vous pouvez aller barboter dans le jardin de corail qui se trouve entre les motus Tautau et Maharare. C'est un véritable aquarium. Norbert vit là avec sa vahiné. Il est accueillant et vend des fruits. Il peut, si vous le souhaitez, vous préparer un repas polynésien.

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Nous mettons le cap sur Huahine distant de 22M. Nous voilà au près dans un alizé tonique. Cela fait plusieurs années que nous n'avons plus fait de près, depuis les Canaries je crois. Ce n'est décidément pas l'allure que je préfère. Avec le bimini, l'annexe sur les bossoirs, le génois en partie roulé, 60m de chaine à l'avant et tous les pleins, on a connu mieux, mais j'ai la flemme de gréer l'étai largable et le foc de brise pour une si petite distance. Dire que je ne m'en suis encore jamais servi... Je souris en pensant à toutes ces questions qui se pressaient dans ma tête pendant la phase préparatoire à notre projet... Au fil des étapes on devient pragmatique, l'approche du voyage devient moins technique et plus philosophique. Le bonheur en voyage ce sont les rencontres, la vie à deux, et un bateau qui donne le moins de soucis possible...

Coup de cœur pour l'île de Huahine ! Fare, le petit village est typique et tranquille. On y rencontre des gens originaux. Nous sympathisons avec Pierre COSSO, acteur de cinéma connu (il a été le partenaire de Sophie Marceau dans « La Boum2 ») qui vit là sur son superbe catamaran Outremer. Pierre est un compagnon sympathique et attachant, de surcroit fin voileux. Le mouillage (16°42'7S / 151°02'4W) est à 200m de l'embarcadère de Fare et quelques centaines de mètres de la passe et de la barre. Du cockpit on contemple les surfers qui s'en donnent à cœur joie. Sur la terrasse de chez Guinette, face au lagon, on fait des rencontres, on refait le monde... Huahine a su se préserver du tourisme de masse.

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Le mouillage de Hana Iti est splendide (16°46'9S / 151°01'6W) On y rencontre un curieux personnage qui fait un peu office de gardien et de guide sur la plage. Il est là tous les jours et prépare un repas polynésiens aux visiteurs avec qui il sympathise. Le lendemain, nous sommes seuls dans ce lieu paradisiaque, il nous raconte sa vie en préparant le repas. Il râpe la pulpe de coco avec un outil sur lequel il est assis...
- « J'ai connu ma première femme... j'étais jeune.... » (Silence) « Puis une deuxième femme » (nouveau silence...) « A 19 ans je me suis engagé dans les commandos de l'air en France. C'est là que j'ai connu ma troisième femme »
- Mais dis-donc, tu étais un vrai séducteur...
- « Non, non... La troisième c'était une popa... (une française) Elle avait 49 ans... (Silence) C'est bien une vieille... t'es pas emmerdé... » (Silence...) Il place le oru, le fruit de l'arbre à pain directement dans la braise.
« Quand elle est morte, je suis rentré... » (Silence) Tu vois, là, dans la baie où nous sommes, et sur les falaises à droite, ils ont tourné le film « Le Prince du Pacifique » avec Thierry l'Hermite... » (Silence) « Il est bien Thierry... » (Silence) « Il y a eu la scène du baiser, j'étais tout près, je tenais la perche. Tu sais quoi, hé ben son mari à la fille, il était juste à coté de moi et il a rien dit... »
- « Mais ce sont des baisers de cinéma, ça ne compte pas... » (Il met la pulpe de coco dans un torchon qu'il essorera sur les morceaux de oru ce qui donnera le délicieux maiore)
- « Tu rigoles, c'était une vrai galoche je te dis, je l'ai vu !!! Avec moi ça se serait pas passé comme ça » (et il montre son coupe-coupe)
Nous partons de ce mouillage avec des bananes à profusion, des pamplemousses, des mangoustans...

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L'escale mythique de Bora-Bora était bien sûr attendue. (Ici, on dit Bora) Nous quittons Tahaa sous un ciel bouché et jolie brise de nord. C'est parti au petit largue pour 20M, la visibilité est mauvaise, la mer agitée, si la température n'était pas aussi clémente on se croirait en Manche l'hiver. Après avoir contourné la balise SW du lagon de Bora nous sommes au près serré. Un grain violent avec pluie diluvienne et rafales à 40N nous cueille à un demi mille de la barrière de corail et à 2 milles de la passe de Bora. La visibilité n'excède pas quelques dizaines de mètres. La passe semble être une autoroute sur la carte, mais nous préférons mettre le cap au large en attendant que les éléments se calment. C'est sous deux ris et appuyé au moteur que nous entrons dans le célébrissime lagon. Nous prenons un coffre devant le Bora-Bora Yacht Club. L'ambiance y est sympathique, le prix de la bouée modéré. On peut bénéficier d'une heure de WIFI gratuit par jour.

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Après deux jours ventés et maussades, Bora redevient ce qu'elle est : L'une des plus belles îles au monde. Contrairement aux autres îles sous le vent, les mouillages y sont nombreux. Nous avons particulièrement apprécié ceux du sud-est de l'île : A l'est du motu Pti Aau en 16°32'S / 151°42'3W et celui situé entre les motus Piti Uu Uta et Piti Uu Tai en 16°32'3S / 151°43'5W. Entre ces deux motus on peut admirer un joli jardin de corail. (En effet, contrairement à ce que nous pensions, les fonds ne sont pas beaux et poissonneux partout) Si vous prenez un verre à l'hôtel Sofitel, vous pourrez grimper au sommet du motu, la vue y est superbe. Les passages entre les haut-fonds des lagons sont généralement bien balisés. Le positionnement du bateau sur nos cartes numériques n'était pas toujours exact. Dans les passages délicats, la navigation se fait à vue, le skipper étant habituellement à l'avant pour guider le barreur.

Nous passons quelques jours de farniente à l'ouest du grand motu Toopua sur 5 mètres d'eau turquoise. (16°31'S 151°46'5) Chaque jour nous sommes intrigués par des bateaux rapides qui viennent de Vaitape et vont sur le platier, entre la barrière de corail et nous. Nous les observons aux jumelles. Le lendemain, nous y allons avec l'annexe. Il s'agit en fait de « sharks and rays feeding » dont les touristes sont friands. Nous assistons là à une caricature de ce que peut produire le tourisme de masse. Dans une atmosphère de folie, une vingtaine de jeunes japonais et japonaises barbotent avec leur masque, de l'eau jusqu'à la taille. Des dizaines de raies pastenagues d'environ 1,50m d'envergure tournent dans tous les sens entre les baigneurs en les caressant avec leurs ailes, attirées par les sardines que les visiteurs leur donnent par poignées. Les requins pointes noires tournent autour du groupe. Les japonaises couinent de peur en se pendant au cou de leur tarzan, ces jeunes messieurs ne sont pas plus rassurés mais essaient de bonne figure. Et ça photographie, et ça couine... Tiens, au fait, les japonaises ne s'épilent pas les jambes !

Nous avions peur d'être déçus par Bora. Certes, Vaitape, le village principal n'a rien pour séduire. Étrange d'ailleurs que la star mondiale des destinations touristiques n'ai pas fait l'objet de plus d'attention. Mais il y a de belles randonnées à faire à terre et, en bateau, Bora est vraiment splendide et très photogénique avec son extraordinaire lagon et l'Otemanu, sa montagne qui culmine à 727m d'altitude.

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Le 19 juin, à Tahaa, au Taravana Yacth Club a lieu la grande fête de la musique. Nous sommes trois ou quatre voiliers par coffre, heureusement que la météo est clémente. Toute la nuit nous allons danser, chanter, dans une ambiance extraordinaire. Nous rencontrons là Laurent BOURGON qui a posé son sac à Raiatea. Il vit sur un curieux catamaran à moteur dont il fait la promotion. http://www.newswinch.com/5-carnets_de_bord/laurent-bourgnon-un-tour-du-monde-a-moteur-562
Nous faisons également la connaisance de Carmen et de Bruno qui font du charter sur Dalaï, un superbe monocoque en strip planking de 16 mètres qu'ils ont construit eux-mêmes. Le lendemain nous allons le visiter. Je suis épaté par la qualité de la construction et des finitions. Je n'aurais pas imaginé qu'il soit possible d'atteindre ce niveau de perfection en construction amateur. http://www.jolibateau.com
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Tout semble donc aller pour le mieux au paradis, mais je ne peux m'empêcher d'évoquer l'avenir de la Polynésie française. J'éprouve un drôle de sentiment, comme si j'assistais à la fin d'une époque faste. Les importantes subventions liées aux essais nucléaires se sont taries, le tourisme diminue chaque année : Vie trop chère, billets d'avion hors de prix. Les journaux ne parlent que de l' incompétence et de la vénalité des élus locaux, nos politiciens, en France, ont le nez sur la crise et la gestion de leurs petits scandales, la Polynésie est bien loin... Dans ces conditions, quel avenir pour les polynésiens ? Je voudrais croire qu'ils parviendrons à préserver leur mode de vie traditionnel.... Oui mais voilà, les jeunes, comme tous les jeunes du monde, sont irrésistiblement aspirés par la modernité. Pour beaucoup d'entre-eux le bonheur passe par un 4x4 et un téléphone mobile dernier cri. La pêche au petit jour ou la culture du faapu, le jardin familial, ne trouvent plus grâce à leurs yeux. Dans le même temps ils n'ont généralement aucun goût pour les études et le travail selon le modèle occidental. Se greffe là-dessus les excès d'alcool et de paca (cannabis) avec pour conséquence les problèmes de femmes battues et d'incestes.

La France pourra-t-elle, voudra-t-elle, indéfiniment porter cet immense territoire à bout de bras ? Le Grand Homme a proposé l'indépendance à la Polynésie par référendum en 1959, mais les polynésiens ont répondu qu'ils préféraient rester au sein de la République. Une large autonomie leur a été accordée en 2004. Les mouvements indépendantistes se développent mais sans grande virulence. L'indépendance, pourquoi pas pensent certains, mais à quelles conditions ? En effet, si les îles françaises du Pacifique sont maintenant quasiment les seules à ne pas être indépendantes, ce sont également celles où le niveau de vie est, de loin, le plus élevé même si une dangereuse pauvreté se développe à Papeete.

Alors que nous bavardons devant le Yacht Club de Bora, un vieux 4x4 s'arrête. Une jeune femme au visage à la fois doux et énergique nous demande si des voiliers sont en partance vers l'ouest, elle voudrait leur remettre du matériel pour sa famille. Nous lui répondons par l'affirmative et nous faisons connaissance. Elle s'appelle Sophie, elle nous explique qu'elle est l'un des cinq derniers habitants de l'île de Mopelia à 130 miles de là, à l'ouest. Elle nous dit que là-bas, ils vivent encore du copra, de la pêche et des œufs d'oiseaux de mer, que leur seul contact avec la civilisation est un bateau qui leur rend visite une fois tous les deux mois. Mon imagination démarre au quart de tour, ce sera notre première escale, l'année prochaine, lorsque nous mettrons le cap vers la Nouvelle Calédonie.


Bon vent à tous les amis de H&O
Sergio et Dominique