La galienne : 12 ans d'enfance autour du monde


Talou et Joël sont partis de France il y un peu plus de douze ans, à bord d'un Rêve d'Antilles baptisé La Galienne. Mélissa, leur ainée, avait alors 2 ans : elle en a 15 aujourd'hui. Morgan, son frère, est agé de douze ans. Tous deux ont rarement mis le pied à terre.


la galienne 12 ans d enfance autour du mondeNDLR : cet interview est longue, mais intéressante :-). J'ai séparé l'interview des enfants (page 1) de celle des parents (page 2)
 
 
Vous aimez les longues navigations ?

Morgan : Non. On préfère les escales parce que là, on rencontre du monde et on fait des trucs.

Qu'est ce que vous faites pendant les nav' ?


Mélissa : On lit, on écoute des histoires avec les cassettes, et on joue aux Légo. On joue à des jeux de société et de cartes, Scrabble, Monopoly. En Thaïlande on a trouvé un monopoly avec les monuments thaï et des baths. On a trouvé aussi une fois un Monopoly d'Afrique du Sud, avec des rands. On a aussi quelques CD-ROM de jeu. A part ça je fais des quarts, le soir. Des quarts de deux heures, de 8 à 10. Morgan, il fait le quart de 6 à 8 le matin.

Vous avez appris à faire le point et à lire les instruments ?


Mélissa : Oui, mais il nous reste le sextant à apprendre.

En navigation vous ne vous ennuyez pas ?

Melissa : Non.
Morgan : Moi un petit peu.

Vous avez un rôle ou une spécialité à bord ?


Mélissa : Morgan il est pêcheur de calamars. Moi c'est le poulpe.

Vous vous êtes arrêtés pour de longues escales en Polynésie et en Nouvelle Calédonie…


Mélissa : Oui mais on n'habitait pas à terre. Mais on allait à l'école à terre.

Vous n'avez jamais habité à terre ?


Mélissa : Si, pendant les vacances en Bretagne, pendant un mois et demi. On nous avait prêté une maison. Je me souviens plus, j'étais petite.

Et t'aimerais bien recommencer l'expérience ?


Mélissa : Pas spécialement, non.

Qu'est ce que vous aimez le plus à bord ?

Mélissa : La pêche, la plongée surtout. Ou alors rencontrer les gens à terre quand on est à l'escale.

C'est facile de rencontrer les gens à terre ?


Mélissa : Ca dépend des endroits. J'ai appris l'espagnol petite, maintenant j'ai oublié ! Maintenant, je parle l'anglais, uniquement.

Qu est ce que vous n'aimez pas, dans la vie à bord ?

Mélissa : Rien. A part faire la vaisselle. Et l'école.





Marina, banlieue de la mer

C'est difficile d'avoir ses parents comme professeurs ?

Mélissa : Ca va, ça dépend des jours.

C'est quoi la différence entre l'école à terre et sur le bateau ?

Mélissa : Sur le bateau, c'est que le matin. A l'école, c'est tous les jours. Mais j'apprends autant de choses en une matinée sur le bateau qu'à l'école en une journée. J'ai fais le CM2 et la sixième à terre. Et Morgan le CE1 et le CE2.

Vous avez trouvé que les enfants, ils étaient différents ? Par rapport aux enfants que vous rencontrez en bateau ?

Mélissa : Oui. Ils sont durs. Violents, et pleins de gros mots. Surtout en Nouvelle Calédonie.
Talou (la mère) : En nouvelle Calédonie, toutes les 3 ou 4 phrases tu dois prononcer "Enc…" ! Ils parlent très grossièrement. Alors, les enfants, ça les a surpris.
Mélissa : Même envers les profs, les enfants ont un langage vraiment incorrect.

Et avec toi et Morgan, ça se passait bien ?

Morgan : Ouais… Ca dépend… Avec les enfants en France, j'ai des bons contacts. Avec ceux de Nouvelle Calédonie, avec certains du moins, on a eu du mal.
Talou : En dehors du collège, ils ont eu des problèmes avec des enfants aussi. Parce que, en fait, c'est comme dans les banlieues, quand ils se retrouvent tous dans une marina ou à coté d'une marina. C'est normal. Enfin il y a des fois il y a des histoires plus dures que les autres. Mélissa s'est fait saccager son vélo quand même, par les copains.

Au port ?


Talou : Oui. On laissait les vélos à la marina, on avait un contrat avec elle et on laissait le bateau à l'extérieur. Eh bien quatre gamins sont allés couper les pneus, démonter les freins, pleins de choses. Ils n'ont pas eu de chance parce qu'ils ont été pris à la caméra : la marina était surveillée. Ca faisait pas mal de temps qu'ils cherchaient à faire des grosses farces à Mélissa, jusqu'à ce jour je n'avais pas été voir les parents, mais cette fois, j'y ai été.

Ils cherchaient des noises parce que tu étais la seule fille ?


Mélissa : Plutôt parce que j'étais la plus grande.

Et tu arrives à te faire des copains et copines de ton âge ?

Mélissa : En Nouvelle Calédonie, oui, au collège. Sinon à la marina il n'y en a pas tellement. Et en bateau, il y en a pas du tout !

Ca te pose un problème ou tu t'en fiches ?


Mélissa : C'est un petit peu un problème.


Dallas ou récré-banane ?

la galienne 12 ans d enfance autour du mondeCa fait une différence d'être en vacances ou non, sur le bateau ?

Mélissa : Oui, les journées paraissent beaucoup plus longues en vacances, et c'est mieux !
Tu attends les vacances avec hâte, alors ?
Joël : Mais ce sont des enfants normaux ! (rires)
Mélissa : En tout cas je préfère l'école à bord qu'au collège !

Et les profs, ils sont à la hauteur ?


Mélissa : Oh ben ouais (Talou et Joël proposent de s'en aller)

Tes parents arrivent toujours à t'expliquer tout ?


Talou : Moi je suis une passionnée de math ! Mais Joël, non pas du tout. Il fait le français, mais il était nul en français.

Ils sont durs avec vous ?


Mélissa : Non ils sont assez cools. Mais enfin il y a une discipline, quand il faut travailler, on travaille.

Il y a des récrés quand même?


Mélissa : Oui, la récré-banane ! 10 minutes !

Les heures de cours, c'est quoi ?

Mélissa : 7 heures-12 heures.

Qu'a tu découvert de particulier quand tu as été à terre, en terme d'activités ?

Mélissa : Rien de spécial. Si : la gymnastique, le cinéma.

Quand vous étiez à terre, les autres gamins devaient vous parler de télé, non ?

Mélissa : Oui, surtout en cours d'anglais. C'était que des questions sur les programmes de télévision, des questions sur Diana, sur Dallas. Même au CNED j'ai des questions sur Dallas ! C'est vraiment grave !
Joël : Les supports, en français, c'est Victor Hugo, et en anglais, c'est Dallas !

Et toi Morgan, tu as découvert des activités à terre ?

Morgan : Oui le vélo, le skate, les rollers.Ca ne va pas être facile aux Chagos !
Joël : Il faudrait qu'on trouve un spot de body board plutôt. On ira voir sur la barrière.

Les profs-parents sont ils sur votre dos cinq heures sur cinq ?

Talou : Non. Mélissa travaille toute seule, en gros. Morgan de plus en plus.
Joël : Je crois qu'ils ont compris que, d'abord, l'école était à faire.
Talou : Si on n'est pas là, Morgan va un peu bâcler son travail.

C'est quoi votre rôle de parents, un travail de vérification ?


Talou : Oui, et d'explication quand ils ne comprennent pas quelque chose. Donc, il faut qu'on reste à niveau. Par exemple sur certains points Mélissa est en train de nous dépasser, parce que les programmes ont changé, tout de même. Dans ce cas il faut mettre le nez dedans !

Avez-vous senti une différence avec les enfants à terre coté façon de travailler ?


Mélissa : Oui, parce que les profs sont tout le temps avec nous, ils nous expliquent tout le temps. Là, je suis beaucoup plus toute seule.
Talou : L'handicap qu'elle aura sûrement, on le voit à chaque fois qu'on passe d'une période CNED à une période école à terre, c'est la lenteur.
Mélissa : je ne travaille pas assez vite.
Talou : Et apparemment c'est un problème commun aux enfants qui travaillent par le CNED : ils travaillent trop lentement.
Joël : On leur laisse plus de temps, sans doute, il n'y a pas l'histoire des gamins qui doivent rendre leur copie. Par le CNED il y a aussi normalement des temps à respecter, mais on est plus souple. Mélissa, regarde le premier mois où tu es retournée à l'école en Calédonie, tu as eu un peu de mal.
Mélissa : Oui, j'étais souvent dans les dernières à rendre ma copie.
Talou : Il faut dire qu'ils arrivaient d'un an de vacances…
Joël : … parce que le calendrier scolaire de Tahiti et de Nouméa ne sont pas les mêmes. Donc soit on leur faisait refaire une année aussitôt sans vacances, soit c'était neuf mois de vacances. On a fait neuf mois de vacances, par contre, quand on est repartis de Calédonie, ils n'ont pas eu de vacances. Aussitôt après le départ, ils ont renvoyés sur le CNED.

Copins, copines, grand-parents

Et toi Morgan, comment ça se passe l'école ?

Morgan : C'est un petit peu dur.
Joël : Morgan a eu des ennuis avec certains.
Talou : Là c'était grave, attends, il y avait une équipe qui allait faire des casses dans les stations services, voler des fringues…
Joël : Morgan n'était pas avec eux sur ces coups-là, mais il était souvent avec eux sinon.
Talou : Ce qui était bien c'est qu'il nous mettait au courant de tout. Mais j'imagine très bien Morgan à la station avec ses petits copains, ses copains volent des trucs et se barrent, et Morgan qui reste !

Avez vous parfois envie d'être tout seul sur le bateau ?

Mélissa : Non
Talou : Est-ce que vous avez envie que vos parents vous lâchent les baskets ?
Mélissa et Morgan : Non !
Talou : Et si vous aviez l'occasion d'aller en vacances en France tout seuls ?
Mélissa : Oui, j'aimerais bien essayer une fois. Je n'ai jamais voyagé toute seule.

Vous avez des copains avec qui vous arrivez à rester en contact ?

Mélissa : Oui, des copains sur d'autres bateaux, on s'écrit ou on se contacte par BLU.

Avez vous des relations avec vos grands parents et votre famille ?

Mélissa : Oui, on les connaît bien.

Ils sont venus à bord ?

Mélissa : Oui, en Thaïlande, mon tonton est venu à bord. Enfin, il n'y en a pas souvent qui viennent à bord.
Talou : Disons qu'on était loin pendant longtemps, donc ça faisait un peu au dessus des moyens de ceux qui auraient voulu venir.

Tournés vers la nature

Y a t il quelque chose qui te manque à bord ?

Mélissa : Non.
Joël : Est-ce que la télé te manque, par exemple ?
Mélissa : Non.
Talou : Il manque un congélateur pour pouvoir manger des glaces ! La télé ne leur manque pas, mais en escale on va très souvent au cinéma, en Calédonie il y avait beaucoup de spectacles, des concerts…

Qu'est ce que tu veux faire quand tu seras grande ?

Mélissa : Je ne sais pas.
Talou : Tu n'as aucune idée ?
Morgan : Moi je veux être garde forestier.
Talou : Morgan a vu les gardes forestiers en Alaska, ça lui a plu. Tous les deux adorent les animaux.
Mélissa : Un métier pour moi ce serait vétérinaire dans les réserves.
Talou : Et le grand rêve de Mélissa, il faut quand même en parler… que tu t'acharnes à faire en traversée, dès qu'on voit les dauphins arriver…
Mélissa : Toucher un dauphin !

As tu déjà eu peur ?


Mélissa : Non.
Joël : il y a une fois où on a tous eu peur, mais pas du vent ou de la mer. On s'est fait tirer dessus par des locaux. On a pris nos jambes à nos cous.

Les difficultés selon l'âge, la santé, le CNED... l'interview des parents est en page 2.




C'est quoi le plus facile et le plus difficile en fonction de l'âge ?

Talou : Quand c'est bébé, au tout début, il n'y a rien de difficile. Tu les mets dans un coin, ça dort beaucoup, c'est bercé par la mer en permanence. Et puis comme tu es sur un bateau, tout est à proximité, c'est très facile, il n'y a pas besoin de courir partout pour aller chercher le biberon. Et en plus, tu as un œil en permanence sur ton gosse, donc au niveau sécurité, c'est mieux qu'à la maison. J'ai habité dans une maison un mois et demi lorsque Morgan avait un an, et je trouvais ça beaucoup plus difficile. Il y avait beaucoup plus de choses à portée de sa main, à sa hauteur.
Joël : Et puis l'électricité, c'est du 220 volts, pas du 12 volts comme à bord ! C'est sans doute lorsque l'enfant a 5 ou 6 ans que ça devient dur. Il y a le début de l'école, le gamin n'a pas encore compris qu'il faut qu'il travaille tout seul, il y a plus de contraintes de ce coté-là.
Talou : oui, plus de contraintes. Tu dois vraiment rester tout le temps, tous les matins. Les parents doivent être à coté, surtout au moment de l'apprentissage de la lecture. Oui, c'est l'age le plus difficile.

En ce qui concerne l'école, vous avez essayé de faire des cours un petit peu personnalisés, appliqués par exemple à la vie sur le bateau ?

Talou : Oui, on a fait des choses un petit peu en dehors. C'était appuyé avec les Lexi-data, un jeu avec pleins de vocabulaire, c'était distrayant. Mais bon, les cours du CNED sont très bien faits. Normalement ça suffit. Ca a un peu changé, parce qu'à l'époque de Mélissa, les textes étaient affreux : Mélissa pleurait ! Tellement c'était triste ! C'était toujours des histoires de gamins, dans les banlieues, avec des parents qui travaillent… maintenant, le programme a complètement changé pour Morgan, les histoires sont marrantes comme tout, variées, illustrées.
Joël : Pour nous, c'est un peu galère. On passe beaucoup de temps à suivre les cours. Et puis le CNED manque un petit peu de ponctualité.
Talou : Et les programmes sont lourds. C'est trop de boulot.
Joël : Dans la démarche, il reste que c'est tout de même pas mal, le CNED. Ca apprend aux enfants à bosser seuls.

Sécurité, santé...

Au niveau de la sécurité, craignez-vous la chute par dessus bord ?

Talou : De toute façon, il faut toujours avoir un œil sur l'enfant, à terre comme en mer.
Joël : Il faut leur faire comprendre les dangers, de toute façon. Sur le bateau, en mer, il n'y a pas le droit de monter sur le pont la nuit. Si celui qui est de quart veut monter sur le pont, il réveille quelqu'un d'autre. On le fait pour nous aussi, les parents. Comme cela tout le monde dort très bien. On essaie de faire les manœuvres aux changements de quart. Le harnais, on le met s'il fait vraiment mauvais, mais c'est rare.

Quid de la santé des enfants à bord ?


Joël : Morgan s'est fait quelques "scratches", il s'est éclaté une fois à l'intérieur. Du sang partout, quelque Stéril-strips…
Talou : Et il y a eu la malaria de Mélissa, mais c'est enrayé.
Joël : La gamine est montée à plus de 40° de fièvre, en plein milieu de l'océan… mais Talou avait très bien diagnostiqué.
Talou : Mais en fait, on attrape moins de choses en mer. C'est plutôt quand on arrive à terre, alors là ! On est sur d'attraper des grippes, des angines, etc. Moi, j'ai fait des coliques néphrétiques, dans des endroits où on ne pouvait absolument rien faire, ça fait excessivement mal, je réclamais ma piqûre à corps et à cri. On avait ce qu'il fallait à bord.
Joël : Morgan nous a fait des poussées de fièvre avant notre départ du Cap Vert. En fait c'était un impétigo qui s'était infecté.

Ne pas partir avec un enfant unique

Faites vous des visites particulières lorsque vous êtes à terre ?

Joël : Pourquoi irait-on voir le médecin tant qu'on n'est pas malade ?
Talou : Personnellement je n'ai jamais eu de sécurité sociale lorsque j'étais à terre. A bord du bateau, au début, on n'en avait pas non plus. Là on en a prise une, parce qu'on a eu une histoire de dents.
Joël : On ne sait pas si on va continuer. On va attendre jusqu'à Madagascar, parce que là-bas, il ne vaut mieux pas être malade, mais après, je pense qu'on va résilier. On n'est pas non plus assuré pour le bateau. Si on le perd, on n'a plus rien.

Si c'était à refaire, pour vos enfants ?


Talou : On le referait ! On est très content. On le referait, surtout avec deux gamins. C'est la condition sine qua non. Partir avec un seul gamin, c'est trop dur pour lui. On a pleins de copains qui ont arrêté à cause du gamin unique et des problèmes que ça pose.

Deux ou plus ?


Talou : Deux, voire plus. Nous on a un petit bateau. Mais c'est une vie sympa.

L'avenir ?


Joël : L'avenir, on ne sait pas. Pour le moment c'est top. Les gens nous disent : mais et la retraite ? La retraite, la retraite : qu'est-ce qu'elle a, la retraite ?
Talou : On a tendance à vivre un peu au jour le jour. Avant, quand on rentrait en France, les copains nous demandaient toujours : comment vous allez faire pour la retraite ? Ca fait 12 ans. Maintenant, quand on rentre, ils ne nous disent plus rien.

Quels sont les navigateurs que vous rencontrez ?

Talou : Avant c'était plus jeune. On se souvient du Noël que l'on a passé en Casamance après notre départ de France, avec d'autres bateaux : on avait tous 30 ans. Maintenant les gens que l'on rencontre sont plus vieux.
Joël : Et puis maintenant il y a beaucoup plus de fric. Les gens ne veulent plus partir sans l'équipement au complet.
 
NDLR : Merci Talou, merci Joël. Vous nous avez donné envie... de faire des enfants !
;-)