Daniel Bonnefoy

Gouverner sans gouvernail


Rares sont les plaisanciers qui connaissent les techniques élémentaires pour diriger un voilier qui a perdu son safran ou qui, lors d'une traversée en équipage réduit, seraient en panne de pilote automatique.

Beaucoup ne voient d'autre solution que de naviguer avec un safran de secours ou de disposer en permanence d'une ancre flottante.

En 2016, beaucoup de plaisanciers considèrent qu'il est suicidaire de naviguer sans porter un gilet de sauvetage,  un harnais dès que l'on sort du cockpit, et criminel de naviguer sans canot de survie.

Pourtant, rares sont devenus ceux qui traversent un océan en utilisant un régulateur d'allure plutôt que 1, 2 voire 3 pilotes automatiques.

Il ne leur vient pas à l'esprit qu'un pilote tombe en panne et que de trop nombreux voiliers modernes perdent leur safran suspendu .

Peut-être y suis je plus sensibilisé car j'ai subi cinq avaries de gouvernails.

Quels sont les types de trainards et ancres flottantes (mon avis)

Il ne faut pas confondre l'utilisation de traînards pour exclusivement freiner le bateau dans des mers dangereuses et celle pour le diriger an cas d'avarie de pilote ou de safran défaillant.

- Seau:  Cela ne peut convenir que par beau temps sur de petits voiliers. Ne pas oublier de le lester avec de la chaine par exemple. L'avantage principal est que tout voilier possède un seau et des amarres et que la mise en place est très simple.

- Ancres et chaine de mouillage : cela peut convenir que dans la majorité des cas, y compris sur des voiliers importants. L'avantage étant que tout voilier possède un mouillage proportionnel à sa taille.

- Drogue de Jordan (suite de plusieurs dizaines de petits cônes fixés sur un cordage sur plusieurs dizaines de mètres.). Mon avis personnel est que c'est surement un excellent système à condition qu'il  comporte une longue ligne de mouillages et plusieurs dizaines de cônes.  Le secret réside dans la longueur de l'amarre. L'inconvénient est que son prix est élevé pour une utilisation heureusement rarissime.

- Ancre flottante "parachute" : Les trois cas que je connais d'utilisation d'une ancre flottante par gros temps se sont soldés par le chavirage par l'arrière des trois catamarans concernés(dont un 57 pieds).  Mon hypothèse est que le cordage était trop court et que lorsque l'ancre s'est trouvée dans la partie déferlante de la crête, elle n'empêchait plus le voilier de reculer.

- Ancre flottante "Gale rider" : La "galerider" est une sorte de seau très ajouré constitué de sangles. C'est un système plus fiable que l'ancre flottante type (parachute, Plastimo...). Mais là aussi, par gros temps, il me parait indispensable d'utiliser plusieurs amarres de grande longueur afin qu'elle soit elle plus éloigné possible du voilier. L'inconvénient est que son prix est élevé pour une utilisation rare.

Seau

Ancre flottante

Ligne de mouillage

Gale rider : cône "ajouré", comportant une série de cerceaux de diamètres décroissants reliés entre eux par des morceaux de toile. Son intérêt est d'induire une traînée à peu près constante, et sa récupération ne pose aucun problème. Il est présenté avec les arceaux pliés en forme de 8, ce qui peut poser des difficultés lors de son déploiement et surtout de son rangement si on n'est pas familiarisé avec cette manoeuvre.

Cônes, basés sur le principe de l'ancre flottante, mais de dimensions beaucoup plus faibles. Ils sont destinés à être filés sur l'arrière du bateau, un peu comme les traînards. Ces cônes sont mis en série, donc l'un à la suite de l'autre; ils sont souvent présentés "prêts à l'emploi", dans un emballage compact

Ligne de 100 cônes de 100 mètres lestée à l' extrémité La ligne doit être solidement fixée sur le bateau; si le filage par l'arrière ne pose pas de difficultés, sa récupération (au winch) en revanche est plus délicate, nécessitant de bien vider et plier chaque cône dès qu'il est récupéré. 

Les avis de quelques professionnels concernant l'ancre flottante utilisée comme traînard.

"Il est évident qu'il faut aller assez vite, presque aussi vite que les vagues pour diminuer leur impact et avoir un safran efficace, mais il ne faut surtout pas aller plus vite car l'accélération dans la descente peut être fatale.

Si l'on va trop vite à sec de toile, pensez à mettre mât et grand-voile dans l'axe.

On peut améliorer la sécurité en déplaçant tous les poids à l'arrière du bateau.

Si l'on va encore trop vite il est temps de mettre les freins et on peut encore bricoler n'importe système de traînard avec toutes les aussières et mouillages du bord. Pensez qu'avec la vitesse obtenue dans ces conditions il faut impérativement lester les traînards.

Il vaut mieux assurer l'amarre sur plusieurs points d'ancrage, en particulier les winchs en permettant ainsi de régler l'attitude du bateau par rapport aux vagues."

COURS DE NAVIGATION DES GLENANS 1972  page 388"

La fuite retardée: mouiller une ancre flottante par l'arrière est probablement dangereux: le bateau est trop retenu.

L'arrière ne soulage pas convenablement à la lame..

Il est préférable de traîner des grosses aussières, que l'on file soit en long, soit en boucle. Si on peut les lester, elles travaillent en profondeur et leur action est plus régulière.

Pour éviter le vent arrière, les traînards peuvent être amarrés un peu sur le coté, etc. Encore une fois, il n'y a pas de règles absolues, il faut tâtonner, juger du résultat...

L'amarrage des traînards les plus puissants doit être prolongé jusqu'à l'avant du bateau par un filin passant à l'extérieur des haubans et tourné sur la bitte. En effet, pour les récupérer le moment venu, il est nécessaire de pouvoir faire tête sur eux: les remonter par l'arrière est à peu près impossible tant que le vent demeure frais."

Diriger sans safran au Portant.

- Transporter l'ancre et sa chaîne dans le cockpit.

- Frapper une amarre courte sur la chaine, si possible avec un émerillon.

- Frapper un "bout" ( écoute ou bras de spi conseillé) sur la chaîne

- Fixer une poulie au maître bau du voilier ou sur le taquet avant du voilier en passant par le chaumard.

- Faire passer ce bras dans la poulie fixée à l'avant ou au maître bau. émerillon.

- Faire revenir ce bras sur un winch. Ce winch permettra de donner une angulation à l'ensemble.

- Régler le bras sur le winch en fonction du cap souhaité.

- important: Pensez à protéger le bras du raguage au niveau du chaumard et le surveiller.

Si l'on envisage un angle au vent serré , (120 ° du vent) il est nécessaire d'utiliser le chaumard  situé à l'avant. Attention, la vitesse sera réduite et la dérive importante, mais cela peut être nécessaire momentanément.

S'il s'agit de donner un angle plus abattu, le bras fixé à hauteur du maître bau suffit si un chaumard est présent, sinon il est nécessaire de fixer une poulie ailleurs et ce n'est pas toujours possible.

Que le bras soit fixé au maître bau ou à l'avant, il est possible d'"empanner" en passant le bras par l'arrière et en faisant le montage sur le nouveau bord.

On peut donc jouer sur ces paramètres:

- angle du traînard par rapport à l'axe du voilier.

- longueur de la chaine mouillée,

- poids de l'ancre.

Diriger sans safran au Près ou au Largue.

Sans safran, pour la majorité des voiliers actuels, l'équilibre de la navigation à la voile me parait  impossible. Pour faire route, il me semble que, là aussi, un traînard constitué seulement de cordages et réglé comme dans l'exemple précédent pourrait permettre de faire route tant bien que mal. Au largue, l'exercice est surement plus compliqué.

Témoignage de swanee sur le forum : J'ai essayé sur mon Melody (plan Mauric), juste essayé pour voir si c'est possible. 30 noeuds de portant, houle de 2m, traînard de 20m sur patte d'oie réglable à l'aide d'une poulie, avec un "plat de spaghettis" au bout (un emêlage de 15m de bout de 12), morceau de génois, barre libre. Possible de naviguer de 180 à 90° du vent au moins (je n'ai pas essayé au delà, ce n'était pas sur ma route et pas envie de me faire mouiller, mais je suis à peu près certain que j'aurais pu remonter à 60° avec cette configuration). Je pouvais régler l'orientation du point de tire du traînard avec le winch au vent, la stabilité de route était très satisfaisante, me permettant de lâcher la "barre" régulièrement pour aller vaquer à d'autre occupations."

Un peu de théorie : Le moment est proportionnel à la norme de la traînée, à la distance entre le centre de gravité ou centre de carène et l'objet générant la traîne et enfin au sinus de l'angle entre l'axe du voilier et l'axe centre de gravité et objet traîné.

L’expérience de Michael Keyworth  

Méthodes et équipements testés par Michael Keyworth  (régatier américain). "Je m’inquiète depuis plusieurs années du nombre d’avaries ou de pertes de gouvernail et des conséquences en termes de bateaux perdus ou d’équipage blessés ou morts. Le but de ces essais était de déterminer la meilleure méthode et l'équipement afin de gouverner efficacement le bateau vers un abri sûr en cas d’avarie irrémédiable du gouvernail.L'objectif était d'utiliser l'équipement normalement à bord du bateau lors des traversées ou des courses au large". Ce guide est le résultat de multiples tests effectués à l'automne 2013 au large de Newport, RI.

https://youtu.be/vupIl68mCYg

Le voilier d'essai était un Swan 44 MK I modifié, du nom de "Chasseur".L’idée première était d’utiliser un objet contrôlable capable de créer et transmettre une trainée permettant d’obtenir une stabilité directionnelle. De mon point de vue un trainard devait permettre d’obtenir une trainée suffisante, sans pour autant freiner trop le bateau. Chasseur avait été modifié de la façon suivante: le gouvernail et son skeg avait été remplacés par un safran suspendu et une mèche en carbone, la forme de quille modernisée et le mat allongé d’environ deux mètres. Pour les essais le safran a été enlevé et l’ouverture de la mèche obturé. J’avais à bord de "Chasseur "une ancre flottante fabriquée par Hathaway, Reiser, & Raymond (Stamford Connecticut) et à laquelle j’étais familier. J’ai contacté Wes Olivier chez Hathaway pour leur demander de faire plusieurs prototypes de trainard pour les tests.

http://www.landfallnavigation.com/galerider.html

C’est ainsi que nous avons utilisés les équipements suivants:

-trainard de 0.30 cm de diamètre équipé de trois brides,

-trainard de 0.30 cm de diamètre équipé de quatre brides,

-trainard de 0.45 cm de diamètre équipé de quatre brides,

-trainard de 0.75 cm de diamètre équipé de quatre brides

-trainard de 0.90 cm de diamètre équipé de quatre brides.

Le but de l'essai était de déterminer si la route du voilier pourrait être contrôlée en utilisant chacun des trainards d’essai, dans les conditions suivantes

- Avec réglage des voiles seul sans trainard,

- Au moteur avec trainard,

- Remonter au vent à la voile avec trainard,

- Vent portant à la voile avec trainard

- Navigation à voile et moteur avec trainard,

- En remorque avec un trainard

La longueur des trainards s’est avérée très importante, et les résultats sont sans appel:

-les deux trainards de 0.30 cm ne fournissent aucune stabilité directionnelle

-le trainard de 0.45 cm  fournit une faible stabilité contre dans des vents de moins de 10 nds

-le trainard de 0.75 cm a été très efficace dans toutes les conditions de vent rencontrées et a réduit d’environ 1 nd la vitesse du bateau.

Dans des conditions de vent supérieures à 20nds un bout de chaine a été rajouté pour empêcher le trainard de déjauger.

- le trainard de  0.90 cm  a travaillé de façon similaire au trainard de 0.75 cm en réduisant la vitesse du bateau d’environ 1,5nds.

Gréement des trainards :

Deux écoutes de spinnaker ont été utilisées. Je crois que les écoutes de spi sont appropriés car elles sont généralement dimensionnées en fonction de la longueur du bateau.

Les écoutes passent dans des poulies frappées au maître bau du bateau, comme les deux côtés d'une bride (bâbord et tribord).

Elles sont reliées à la ligne principale du trainard par un émerillon. Les écoutes sont ensuite renvoyées sur les winchs dans le cockpit. Il est important de veiller à ce qu’il y ait le moins possible de frottement et donc d’usure sur ces écoutes qui deviennent les « câbles » de direction du voilier.

Nous avons constaté que les écoutes devaient être ramenées au niveau de l’axe de rotation du bateau. Ce point est probablement quelque part près du milieu du bateau.

Remarque: les poulies de bras de spi peuvent être d’excellents points de renvois pour les écoutes de contrôle

Des avis précédents ont suggéré de les fixer aux quarts du tableau arrière. Nous avons trouvé que cela restreint les mouvements de la poupe du bateau mais empêche les changements de direction.

Dans les conditions difficiles et/ou venteuses, il peut s’avérer nécessaire d’ajouter du poids au trainard pour lui éviter de déjauger.

Fidèle à l’idée de nous limiter à l’équipement déjà présent à bord, nous avons pu utiliser différentes longueurs de chaine, attachée par un émerillon à la tête du trainard.

À l'autre extrémité, nous avons utilisé avec efficacité un émerillon et une manille de rechange et attaché un bout à l'extrémité avant de la chaîne et l'autre à la patte d’oie de commande du bateau.

Il est important de disposer d’émerillons de part et d’autre, car le trainard a tendance à tourner quand il est remorqué. La bride peut se tordre mais cela n’a pas semblé affecter les capacités de contrôle. Lors de nos tests la longueur de l’ensemble n’a pas paru importante. Nous avons fait varier la longueur de 15 à 40 m (environ…)

Il peut être nécessaire de rajouter de la longueur dans les conditions extrêmes. J’ai fait des repères tous les 3m environ à la fois sur les écoutes et sur les brides. (on peut faire cela avec un marqueur ou un morceau de scotch)

Résultats observés

La chaîne est un élément important.

J’ai choisi d’utiliser de la chaine pour lester le trainard parce que les règles ISAF pour la course au large exigent d’avoir à bord une ancre et un dispositif de mouillage adapté, de sorte qu'il n’y a pas besoin d’emporter d’équipement supplémentaire.

D’autres navigateurs au large ont tendance à emporter suffisamment de matériel pour pouvoir répondre à cet usage. D’un point de vue pratique, je pense qu'il est logique d'avoir différentes longueurs de chaîne adaptées aux circonstances. Il est également évident qu’une chaîne plus longue peut être raccourcie en utilisant les outils pour couper le gréement tels que requis par les règlements. Une chaîne courte peut être rallongée en utilisant des manilles pour assembler des longueurs de chaines plus courtes.

- Quel est le poids d’un trainard du type Galerider ?

 Le trainard de 0.75 cm de diamêtre standard pèse environ 4,5kg et est stocké dans un sac d’environ 30cm de diamètre et de 8cm d'épaisseur.

Le trainard de 0.90 cm standard pèse un peu moins de 7kg et tiens dans un sac qui est de 45 m de diamètre et de 10 m d'épaisseur.

 - L'une des difficultés à laquelle vous devrez faire face et de déterminer la place du barreur et sa vision du compas. Il faudrait peut être envisager de s’équiper un compas portatif que l’on puisse installer de façon adéquate. Les bateaux équipés de boîtiers électroniques modernes peuvent avoir des afficheurs visibles à la fois du barreur et du régleur.

- Il serait avisé que tout navigateur au large s’emploie à pratiquer le lancement d'un trainard pour réduire sa vitesse au portant dans la grosse mer, et aussi comme un moyen de gouverner. Cela aiderait à identifier le matériel nécessaire à mettre en place et a définir un plan d’action pour l’installer.

- Le passage du trainard frein au trainard de direction ou vice versa peut être plus facile que vous ne le pensez.

- Un truc que nous avons appris est que vous pouvez amarrer une des écoutes de contrôle et utiliser seulement l’autre pour régler le trainard.

Si vous bloquez l’écoute bâbord, choquer l’écoute tribord vous fera tourner à gauche, la reprendre vous fera tourner à droite. Cette approche donne au barreur plus de souplesse d’action et moins de fatigue.

- Ce que je retiens de l'essai étendu est que vous pouvez obtenir beaucoup de contrôle à l'aide d'une ancre flottante.

Je serais prêt à parier que si un bateau est capable de naviguer plus de 100 miles sans gouvernail jusqu’à un port sûr, l'équipage va vouloir faire un tour d'honneur dans le port pour "montrer" leur nouvelle capacité et les qualités de marins dont ils ont fait preuve.

Une dernière pensée. Ayant navigué plus de 150.000 miles en mer, je l'ai vu beaucoup de choses et ait été en mesure de surmonter toutes sortes de conditions défavorables, et j’ai toujours de préoccupations et des réserves. Une préoccupation est celle de la perte de gouvernail et comment faire face à cette possibilité.

Ce test devrait aider tous ceux qui vont en mer avec cette possibilité. L'autre préoccupation qui me hante chaque fois que je vais à la mer est la quantité de débris flottants et d'autres objets qui peuvent affecter la capacité du meilleur marin à naviguer en sécurité.

La possibilité d'être défoncé ou coulé à la suite de collisions avec des débris flottants est réel. La plupart des histoires que je l'ai entendues racontent que la perte du gouvernail a entrainé l’abandon du bateau Ces navires abandonnés représentent une menace pour les autres marins qui vont en mer et les exposent à des risques inutiles.

Michael Keyworth est vice-président et directeur général de Brewer Cove Haven Marina à Barrington, RI.