Ernest sur l'eau (magellan-beagle)


Les aventures d’un couple de quinqua qui décide de rallier le Pacifique par la Patagonie.

Quelques mots avant de commencer

Lorsque, en 2007, nous attendions à Santa Catarina au Brésil la bonne fenêtre météo qui nous permettrait de rallier l’Uruguay sans trop de vents contraires, nous avons passé de nombreux après-midi sur internet à chercher des sites de navigation parlant du Grand Sud.

Peu de récits de navigation parlent de la descente vers Magellan, du passage du détroit et de la remontée des canaux jusqu’à Puerto Montt, porte des quarantièmes côté Pacifique. Je dois même dire qu’à l’époque, nous n’en n’avons pas trouvé un seul…

Essayons donc, très modestement, de combler un peu ce manque d’information, en tout cas vu par un monsieur tout-le-monde sur un bateau de onze mètres qui n’a rien d’exceptionnel.

[c]ernest sur l eau
Pour voir cette carte en détail, rendez vous sur le site,
http://www.ernest-le-voyage.com/recits/canaux_e_w.htm [/c]



Départ de Buenos-Aires


Après dix mois passés à l’abri des méandres de ‘l’Arroyo Fulminante’, un des nombreux affluents du rio Lujan, nous avons embouqué le rio de la Plata par un beau matin de printemps, fin novembre 2007.

Le moteur neuf que nous venons d’installer ronronne sans problème et Ernest, notre DALU 36 est fin prêt pour la grande ballade : les voiles ont passé l’hiver à se refaire une santé chez le voilier, une capote toute neuve nous protège des vents et des embruns et de nombreux petits aménagements ont été installés ou améliorés.


ernest sur l eau

Après une halte rapide à Colonia del Sacramento où nous avons laissé passer un Pampero musclé et un stop à Punta del Este pour effectuer les formalités de sortie du territoire, nous voilà quelque deux cent milles plus tard devant la barre qui marque l’entrée de Mar del Plata.

Mar del Plata est LE grand port de pêche argentin où les couleurs se disputent la vedette aux odeurs, où les lions de mer rappellent qu’ici commence le Sud, où la chaleur des gens rencontrés et l’excellence des marinas, t’invitent à prolonger le moment de farniente avant de tenter le grand saut.

La descente vers le Sud


Le 22 décembre.- Tous les pleins sont faits et la météo est assez bonne si l’on excepte un coup de Sud prévu dans les 72 heures à venir.

Nous passons donc le pont tournant qui marque l’entrée des marinas en échangeant quelques plaisanteries joyeuses avec le gardien et nous voilà partis, cap 180° !
Notre option était d’éviter autant que possible de devoir s’abriter sur la côte Atlantique car ces abris sont souvent difficiles d’accès et de protection bien relative.

C’est donc à la cape que nous étalerons le premier coup de vent de Sud attendu. C’est pour nous un test et une façon de se rassurer.

Après douze heures passées à capeyer au milieu de la Bahia Blanca dans le bruit du vent et les amples mouvements du bateau, nous validons notre choix et profitons du vent de Nord prévu pour les jours à venir pour faire route le plus vite possible.

Nous avons monté un petit pilote électrique sur l’aérien de notre régulateur d’allure et, dans les houles formées de l’Atlantique Sud, il nous donne entière satisfaction.

Après notre choucroute en boite du 25 décembre, c’est la fête !, nous passerons la péninsule de Valdès dans une purée de pois tenace, tellement humide et dense qu’il nous aurait fallu des branchies pour correctement respirer…
Bien entendu, dans ces conditions, nous n’avons vu aucune baleine ce qui, après réflexion, n’était peut-être pas plus mal.

27 décembre – Nous passons près d’un des rares mouillages possibles sur la route : Caleta Horno. Après consultation des fichiers météo que nous recevons via la BLU, décision est prise de continuer et de naviguer dans de très faibles vents de Sud qui précèdent le passage d’un front plus musclé.


ernest sur l eau


Il faut avancer au moteur et là tout se gâte : le moteur tousse, s’étouffe et s’arrête. Bricolage, de nuit dans une mer formée… et cela se reproduira régulièrement jusqu’aux abords des cinquantièmes lorsque je découvrirai que la pompe moteur possède un filtre intégré qui s’était encrassé à cause d’un mauvais montage du pré-filtre. Que d’angoisses, que de mauvais moments auraient pu être évités !

Passage du golfe de San Jorge sans grands problèmes (à part le moteur) et, à la sortie, une brise de 35 nœuds nous attend.


Après une nuit plutôt sport, bascule de vent qui s’effondre puis nous reprenons tout doucement de la vitesse. Le vent tourne régulièrement au fur et à mesure du passage d’un système dépressionnaire. Le moteur est sollicité périodiquement et nous pose encore problème. De jour ou de nuit il faut prendre les clés démonter, changer le circuit d’alimentation car il est évident que le problème vient de là... Mais il faudra encore bien du temps pour penser à un filtre caché dans la pompe…

Le 31 décembre. - Nous prenons à nouveau la cape pour une dizaine d’heures au large de puerto San Julian. Il suffit de jeter un œil sur les cartes de détail d’entrée du port pour comprendre que nous préférons rester au large…

J’essaie de pêcher mais les oiseaux sont bien plus prompts sur le leurre que les poissons. Résultat : après plusieurs accrochages avec quelques volatiles, un albatros ne veut plus lâcher la ligne et emporte appât et une bonne longueur de nylon.

Je n’étais pas venu pour pêcher des oiseaux ! Je rentre en maugréant tout l’attirail de pêche et ne le ressortirai plus avant Puerto Montt.


ernest sur l eau



2 janvier 2008. - Plus de 36 heures de cape dans la Bahia Grande au nord de Magellan.Il n’y a pas grand-chose à faire que d’attendre. Jonathan, le bateau ami qui nous accompagne, n’en finit pas de dériver. Bien qu’à la cape, son franc bord élevé le pousse vers la côte à plus de deux nœuds. Angoisse du skipper qui passera sa nuit à échafauder des solutions, au cas où…




Le 4 janvier. - Nous passons l’entrée de Magellan. Un cargo nous signale par radio qu’un fort coup de SW est annoncé. Et effectivement le grand rodéo commence au milieu de la nuit. Martine, qui vient à peine de descendre se coucher, se fait copieusement éjecter de la bannette et aucun de nous deux ne pourra y retourner de toute la nuit. L’éolienne, que nous n’avions pas pris la précaution d’arrêter, va commencer sa longue plainte et perdre quelques vis qui fixent le capot protecteur devant l’hélice.

Le vent hurle littéralement dans les haubans, Ernest gémit et se cabre sous voilure plus que réduite, la courroie crantée du pilote électrique en perdra toutes ses dents mais le bateau et son équipage tiendront jusqu’à ce que les éléments se calment.

Le lendemain en fin de journée le vent est toujours soutenu, de secteur SW et nous nous approchons du détroit de Lemaire. C’est un passage difficile que nous ne voulons pas aborder avec des vents contraires. Décision est donc prise de se mettre à la cape en attendant la bascule de vent prévue pour le lendemain. Nous sommes tellement fatigués que nous accueillons ce répit avec bonheur.

Ce matin du 6 janvier - Nous nous approchons du détroit et, bien qu’à plus de vingt mille et à une heure de la fin de la marée, les courants se font déjà fortement sentir.

Au moment où nous embouquons le détroit le vent et la mer se combinent dans le même sens et c’est sur un vrai tapis roulant et à grande vitesse que nous allons entrer dans Beagle !


La nuit tombe quand nous sortons du détroit et je suis ahuri de voir la vitesse sur le fond tomber à zéro œud alors qu’Ernest porte toutes ses voiles et que le vent souffle 10-15 nœuds !

Nous allons commencer à apprendre qu’on joue autant avec les courants qu’avec le vent dans cette région du monde : Nous mettrons la journée du lendemain à tirer des bords contre vents et courants pour pouvoir faire les quinze milles qui nous séparent de Bahia Aguirre.

Le 7 janvier au soir. - Après 17 jours de mer difficiles et 1522 milles parcourus nous plantons enfin notre pioche dans le sable de puerto Espagnol dans la Bahia Aguirre.

Enfin, dormir une nuit entière et oublier un peu les conditions météo…

La suite sera loin de nous donner raison, mais c’est une autre histoire.



[c]ernest sur l eau
Martine et Jean
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