Auriane aux grenadines (vacances vue d'enfant)


Les aventures (humoristiques) d'une petite fille de 9 mois aux Grenadines.

LES AVENTURES D’AURIANE AUX GRENADINES

Voici le récit de mes aventures navales aux Grenadines. Comme mes doigts sont encore trop petits, je n’ai que 9 mois, c’est Papa qui tape sur le clavier de son ordinateur, sous ma dictée.

Tout a commencé le samedi 6 mars 1999. Vers 11heures, Papa est parti conduire Tiare (c’est notre gros chien, Terre-Neuve) chez des amis, car cette brave toutoute ne vient pas avec nous. Papa est bien triste de se séparer de son chien, mais bon, c’est la vie. Pendant ce temps Maman termine les bagages et vérifie une énième fois qu’elle n’a rien oublié. Optimiste elle pensait que tout tiendrait dans 2 valises, mais il a fallu que Papa trouve un sac supplémentaire.

Après avoir rentré les deux voitures dans le garage, ce qui n’était jamais arrivé, éteint le chauffage et descendu les bagages, Papa et Maman attendent tante Priscille qui doit nous conduire à la gare. Je suis toute émoustillée à l’idée de prendre le train, surtout que je ne sais même pas ce que c’est. Elle arrive, la maison est fermée et en peu de temps nous sommes à la gare de Vannes. Heureusement que tant Priscille est là, car Papa est bien encombré avec ses deux valises, le gros sac et le GPS pendant que Maman me pousse dans ma poussette. Enfin, le TGV arrive et avec difficulté nous nous installons. Il y a plein de monde parce que c’est la fin des vacances scolaires des parisiens. (Les parisiens c’est, m’a expliqué Maman, une race de gens qui vivent entassés les uns sur les autres dans des appartements plus petits que le salon de Montcuit, qui courent toujours après on ne sait quoi, qui sont toujours habillés comme s’ils allaient à la Messe et qui quand ils viennent chez nous se comportent comme si on était des sauvages).

Bref, il y a tellement d’enfants dans ce train que mon babillage passe totalement inaperçu. Cela dure quand même 3h30, ce qui est long dans la vie d’un bébé comme moi, mais mes parents disent que j’étais très bien, à la hauteur de l’événement. A l’arrivée, oncle Rémy est là avec ma cousine Delphine dont Papa est le parrain. Une fois encore Papa est aidé dans l’emport des bagages (il ne s’est pas si mal débrouillé, tout de même). Oncle Rémy nous conduit à Versailles dans son appartement où nous retrouvons tante Ghislaine, Etienne, Gabriel et Albane, ma cousine qui n’a que 6 mois de plus que moi (mais elle est énorme). On me fait dîner et on veut me coucher dans un tiroir de commode. Ca, je n’ai pas apprécié du tout, et il faudra que je sois complètement K.O. pour que je m’endorme. J’ai du me réveiller toute les heures jusqu’au matin où j’ai dormi sans discontinuer alors que tout le monde était levé ; ça leur apprendra à vouloir me coucher dans un tiroir.

A 11 heures et demi, une voiture de louage (si, si, elles sont moins cher qu’un taxi à Versailles) vient nous chercher pour nous conduire à l’aéroport car je vais monter dans un avion. Je sais ce que c’est parce que Papa en pilote un tous les samedis et je suis allé le voir. L’aéroport c’est immense, c’est plein de bruits, ça sent mauvais et il y a des chariots pour pousser les bagages que le chauffeur est allé chercher pour aider Papa. On a donné les valises à une gentille dame, qui charmée par ma frimousse a fait passer Papa et Maman devant tout le monde qui faisait la queue, Papa était rudement content. Ensuite nous sommes allés au restaurant, juste devant les pistes ou il y avait plein d’avions, bien plus gros que celui que Papa pilote.

Comme avec la dame qui a pris les valises, lorsque nous sommes arrivés là où il faut montrer des papiers et passer sous un portique, toujours grâce à mon charme naturel, les messieurs en uniforme nous ont fait passer devant tout le monde. Papa et Maman se sont à moitié déshabillés avant de passer sous le portique, mais pas moi qui ai fait sonner les alarmes avec ma poussette. Comme Papa et Maman s'étaient un peu attardés dans le restaurant on est allé directement dans la “ salle d’embarquement ” où une fois encore grâce à moi nous sommes passés devant tout le monde pour monter dans l’avion. Qu’il était gros cet avion ! ! ! Un DC10 qui a du faire la guerre a dit Papa, pas très content. En fait, il était furieux parce qu’à cause de moi il ne pouvait pas être à coté de la fenêtre. On m’a attachée sur les genoux de Maman, puis il y a eu beaucoup de bruit, l’avion a roulé doucement, s’est arrêté, a fait encore plus de bruit a roulé très vite, j’étais collé sur le ventre de Maman, puis j’ai eu une drôle d’impression, en fait je volais pour la première fois de ma vie de 9 mois. Cela a duré 8h30 et j’ai été sage, je n’ai pas dormi, et j’ai essayé d’arracher les poils du bras du monsieur assis à coté de Maman.

La nuit est tombée puis l’avion a roulé de nouveau, nous étions arrivés en Martinique. Nous sommes descendus de l’avion, il faisait très chaud. Pendant que Papa allait chercher les valises, Maman et moi sommes allés à la rencontre de notre chauffeur. Là j’ai eu une sacrée surprise : il y avait plein de gens noirs, même notre chauffeur. Dans un minibus très inconfortable, nous partîmes pour le Marin, mais moi je me suis endormie dans les bras de Maman. Je me souviens vaguement avoir été remise dans ma poussette et d’avoir roulé sur un truc qui faisait beaucoup de bruit et qui s’appelait un ponton ou une panne. Au bout d’un moment Papa m’a montée sur un bateau plus grand que celui qu’il a à la maison. Comme il faisait chaud Maman m’a déshabillée, s’est occupée de moi et j’ai un peu mangé. Pendant ce temps Papa faisait le tour du bateau. Il est rentré dans la cabine en disant que tout paraissait bien sauf que le guindeau n’était pas électrique. J’ai su par la suite que cet engin sert à remonter l’ancre. Après avoir rangé l’intérieur du bateau qui s’appelait Nacre et qui était un Océanis 321 de dix mètres Papa s’est servi un grand verre de Punch Coco et avec Maman ils semblaient très contents. Mais pas moi, car j’avais très peur dans la cabine où Maman m’a couchée. J’ai hurlé à en perdre la voix et à empêcher tous les bateaux voisins de dormir. Maman est revenue me chercher pendant que Papa sirotait son breuvage en fumant la pipe sur le pont. Après quoi Maman est venue dormir avec moi et Papa a dormi tout seul. Mais lui, il n’avait pas peur.

Après une nuit agitée où je me rassurais en vérifiant du pied si Maman était toujours là, nous sommes réveillés au lever du soleil vers 6h30. Après mon biberon petit déjeuner, je suis allée sur le pont avec Papa et Maman qui buvaient leur café. Il faisait tellement bon que j’étais en petite culotte et chemise d’été. Autour de nous il y avait plein de bateaux et j’ai trouvé que le nôtre était très beau avec son petit toit bleu qu’on appelle “ bimini ”. Puis Papa est allé se promener, faire 2 ou 3 courses, voir les gens de Star Voyage et faire la clearance de sortie. Oncle Guy-Henry nous appelé sur le GSM de Papa. Il était en mer en route pour les Saintes à moins de 100 km, pardon 80 milles de nous. Après le déjeuner dans un restaurant sur le port nous partîmes pour aller dormir devant la plage de Sainte Anne. Pendant les manœuvres, je reste dans ma cabine et je n’aime pas beaucoup cela. Nous avons fait le trajet d’environ 5 milles sous grand voile seule et Papa fut très content de voir que le bateau avance vite au portant : 6 nœuds avec la seule grand voile. A l’arrivée pour ne pas changer ses habitudes Papa a mouillé trop prés de la cote et comme la quille touchait le fond de temps en temps il fallut recommencer l’opération. Papa et Maman se sont baignés longtemps, quant à moi ils m’ont baignée dans un seau. L’eau n’était pas froide, mais je n’aime pas trop le coup du seau. Autour de nous il y avait une grande activité ….hydroaérienne. Ce mouillage était vraiment très bien, calme pas trop venté. Au coucher du soleil, j’ai eu mon dîner et j’ai accepté de dormir toute seule dans ma cabine. Pendant ce temps Papa et Maman ont dîné puis rêvassé sur le pont. Ils étaient biens et heureux.

Toujours au lever du soleil, le lendemain, tous les trois nous sommes levés. Je dois reconnaître que sans moi, les parents auraient peut-être dormi plus longtemps. Assez rapidement, les dispositions de navigation furent prises. On me rentra dans ma cabine, Papa remonta l’ancre et le cap fut mis sur Sainte Lucie à 41 milles de là. Le voyage fut très agréable. Je passais mon temps entre ma cabine, où bercée par les mouvements de la mer je m’endormais rapidement, et le pont où je jouais sur un coussin dans le cockpit sauf lorsque Papa ou Maman me prenait sur leurs genoux. Papa était ravi car le bateau naviguait à 8 nœuds de moyenne (confirmée par le GPS). Pour cela il faut dire que le bateau portait toutes ses voiles alors que la prudence aurait imposé au moins un ris et un génois enroulé d’un bon tiers, car il y avait entre 20 et 25 nœuds de vent et une mer agitée à très agitée, mais Papa veut toujours aller vite. Nous ne firent pas de vrai repas (sauf moi, qui ai déjeuné tout à fait normalement). Papa et Maman grignotèrent ce qu’ils avaient envie, partagé entre la barre et ma petite personne. Après un peu plus de six heures de navigation nous arrivâmes à l’anse de la Soufrière que Papa préféra à l’anse des 2 Pitons car on est mouillé à la “ Bahamienne ”, corps mort sur l’avant et amarre à terre à l’arrière. (Au 2 Pitons il n’y a que de trop rares mouillages sur bouée, et comme il n’y a que 500 mètres entre les deux anses on choisit facilement.) C’est assez drôle de voir les insulaires venir assez loin en mer avec leurs canots équipés de moteurs surpuissants, pour faire l’article, nous donner leur nom et même carte de visite. A l’arrivée ils sont jaloux des voiliers qu’ils sont allés démarcher si loin en mer. Il résulte de cette pratique, une augmentation drastique des tarifs pratiqués : 15 US$ pour la prise d’un mouillage et la mise à terre de l’amarre arrière alors que le “ conservatoire des anses de la Soufrière et des 2 Pitons ” viendra nous taxer très officiellement, avec reçu à en tête du gouvernement, de 10US$. Je fais sensation, et tous ces noirs viennent m’admirer, me toucher et me dire des tas de gentillesses. Ils comprennent que Papa et Maman ne peuvent pas aller dîner à terre et me laisser seule et n’insiste donc pas. Le soir ils font attention à passer au ralenti à coté de notre bateau pour ne pas me réveiller, alors qu’à coté des autres ils ne se gênent pas.

La navigation c’est très fatigant et je me suis endormie tout de suite et assez tôt. Papa et Maman ont décidé que nous partirions dès le lever du jour pour faire les 55 milles qui séparent notre mouillage d’Admiralty Bay à Béquia, notre prochaine escale. Ils comptaient sur moi pour les réveiller et je n’ai ouvert l’œil qu’à 6h30. Assez rapidement nous évacuons les questions de change, lavage et nourriture et parvenons à quitter notre mouillage vers 7h30, non sans avoir donné 5$EC pour défaire le nœud de l’amarre arrière. Nous partons au moteur, car à l’abri de l’île il n’y a pas un souffle d’air. Après une heure de cette calme, quoique bruyante, navigation, Papa déroule le génois et coupe enfin le moteur. Le vent est “ gentillet ” mais la mer dans ce canal nous secoue tout de même un peu. Peu à peu Eole prend quelque force et bientôt nous faisons des pointes à plus de huit nœuds ce qui met Papa en joie, mais me secoue un peu dans ma cabine. Maman me monte sur le pont et c’est avec plaisir que je nous vois surfer sur les vagues. Papa s’inquiète car la barre qui grinçait déjà pas mal la veille devient très bruyante. Un premier craquement pétrifie Papa vers 9h30. 10 minutes plus tard, Papa dit à Maman : “ Descends Auriane, nous n’avons plus de barre ”. Dans le même temps le bateau s’agite dans tous les sens, secoué comme un prunier. En moins de temps qu’il n’en faut pour le taper sur son clavier, Papa prend 2 ris dans la grand voile, roule le génois au ¾ et met le bateau à la cape courante. Les errements désordonnés du bateau se transforment en mouvements relativement doux, mais ça bouge quand même pas mal. Curieusement je ne pleure pas, alors que j’ai horreur de rester seule dans ma cabine.

Papa et Maman se mettent à la recherche de la barre franche de secours, Papa est sûr qu’il y en a une, c’est paraît-il obligatoire. Après 20 minutes de recherche l’objet est repéré, ….caché sous le radeau de survie (80kg) au fond du coffre. Avec leurs petits bras pas très musclés, et la mer bien formée, il leur faudra un bon quart d’heure pour la dégager. Papa met l’engin à sa place et découvre avec consternation que cette barre ne se fixe pas. Il faut la maintenir en place d’une main tout en barrant de l’autre. De plus pour l’installer, il a fallu enlever le portillon arrière ce qui avec cette mer est assez impressionnant. Pour moi, l’affaire est ennuyeuse : plus de question de sortir de ma cabine. Au-dessus, les choses reprennent une allure plus normale. Si Papa garde les 2 ris, il renvoie le génois en gardant seulement un tiers enroulé. Le bateau reprend la route à une honnête moyenne de 5/6 nœuds. Visiblement le travail du barreur est très dur, car la mer est très agitée et l’alizé soutenu. Papa et Maman discutent de la meilleure escale choisir. La plus proche est la capitale de Saint-Vincent, au sud de l’île, mais qui n’est qu’à 8 milles de Béquia. Les guides décrivent ce port comme bruyant et désagréable. Papa décide ……….. de ne rien décider et de choisir au dernier moment. A l’abri de Saint-Vincent, mer et vent se calment un peu et la barre est plus facile à manier. Maman peut remplacer Papa pendant quelque temps, et je me retrouve seule dans ma cabine, donc je dors. En arrivant au sud de Saint-Vincent le vent s’affirme un peu plus, et la mer enfle, mais sans atteindre la taille rencontrée au Nord de l’île. Comme malgré tout on a bien avancé, les parents décident de continuer vers Béquia. Le vent accéléré par le couloir entre Saint-Vincent et Béquia rend la barre très dure à manier, et Papa ne la quitte que lorsque Béquia nous abrite un peu. Ayant très mal au dos, il est remplacé par Maman. Dès la balise d’entrée de Port Elizabeth en vue, les voiles sont affalées et le moteur démarré. La noria des Taxis boat est curieusement absente. Nous allons jusqu’au fond du port sans trouver de bouée, quand l’un d’eux se dit qu’il y a quelques dollars à prendre et vient nous proposer la seule bouée gratuite du port. Il est vrai qu’il a peut être eu pitié de nous avec notre barre de secours. Papa lui donne 10 $EC quand même. Il est 17 heures et malgré notre avarie nous avons parcouru les 55 milles en 9h30, ce qui fait une bonne moyenne. A peine amarré, Papa va téléphoner à Star Voyage, mais il tombe sur le répondeur. Il faudra attendre le lendemain.

Jeudi 11 mars, nous nous levons sous un ciel gris. Le mouillage est balayé par de bonnes rafales de vent, mais la température est agréable. Aujourd’hui pas d’horaire à respecter, si ce n’est celui de l’ouverture des bureaux de la douane où nous devons faire la “ clearance ”. Papa gonfle l’annexe, échaudé par les tarifs des taxi-boats : 10$EC pour l’aller-retour jusqu’au wharf du bar Frangipani, qui n’est qu’à 80 mètres du bateau. Le gonflage fait, l’engin mis à l’eau et équipé de son moteur, nous allons à terre. Je suis contente, car il y a plus de trois jours que cela ne m’est pas arrivé. Notre arrivée au ponton du Frangipani fait sensation. Je suis certainement la plus jeune de tous les équipages de la centaine de bateaux mouillés ici. De plus la descente de la poussette de l’annexe fait sourire tout le monde. Amarrage fait et poussette montée, nous partons à la découverte de Port-Elisabeth. Le temps se dégage, mais Papa reste soucieux. Visiblement il est pressé de savoir dans combien de temps et comment nous allons être dépannés. Les bureaux de la douane n’ouvrant qu’à neuf heures, nous nous promenons le long de la mer. Maman fait bien attention à choisir de me faire rouler sous tous les coins ombrés pour préserver mon joli teint de bébé. Elle m’a cependant collé sur le crane, un chapeau qu’elle trouve très joli, et qui m’exaspère. J’ai beau essayé de m’en débarrasser, elle ou Papa se précipite pour le remettre en place. Comme ils sont plus forts que moi, je cède, mais de temps en temps je l’enlève pour les faire enrager. En revenant vers le village et son administration, Papa s’arrête chez un marchand d’accastillage qui fait aussi des réparations. Coup de chance, le patron est Belge (Daniel Foullond) et donc parle français. Papa est bien content, car il ignore totalement comment on dit “ drosse de barre ” en anglais.

Daniel, le patron de GYE prononcer DJI-OUAÏE-I, ce qui veut Grenadines Yacth Engeeners nous promet un technicien pour 11 heures à bord du bateau. Nous continuons notre route jusqu’au bureau de la douane qui sera encore fermé à notre arrivée. Papa en profite pour téléphoner à Star Voyage. Le numéro de téléphone qu’il a trouvé dans les papiers du bateau n’est pas le bon, mais celui de l’agence de 3 Ilets. On lui donne celui du Marin qu’il appelle. Il explique ce qui est arrivé et la dame qu’il a en ligne lui dit d’aller sous barre de secours jusqu’à Union où il y a un technicien Star Voyage. Papa lui répond, très fâché, que si elle connaissait un minimum des choses de la mer, elle n’enverrait pas un bateau en équipage réduit accompagné (n’a t-il pas dit “ encombré ”, je ne le saurais jamais) d’un enfant de 9 mois, naviguer par 25 nœuds de vent sur une vingtaine de milles avec une barre franche de secours qui n’est même pas fixée. Il lui rappelle que cet engin est fait pour gagner l’abri le plus proche du lieu de l’avarie et réparer. La fille de Star Voyage, n’insiste pas et nous demande de la rappeler vers 10h30, le temps qu’elle parle à sa responsable. Papa sort du bureau où il téléphonait, pas très content. De là nous allons faire la “ clearance ”. Sans me vanter, je fais sensation. Maman m’assoit sur le guichet et tous les messieurs en uniforme viennent, qui me caresser la joue, qui me prendre dans ses bras. Ils sont très noirs mais je n’ai pas peur. Je leur montre que je sais dire non avec la tête, bravo avec mes mains, et ils sont ravis. Pendant ce temps Papa remplit des tas de papiers, que l’un de mes nouveaux amis lui a donnés, avant tous les autres. Puis il faut payer 20 US$, pour les parents. Pour moi, mes nouveaux amis ont fait un cadeau : gratuit.

Nous repartons pour rentrer à bord, ce qui me permet, en toute humilité, de faire à nouveau sensation dans l’île. Je dois avouer que j’aime beaucoup l’annexe et en particulier le petit moteur, ce qui fait visiblement plaisir à Papa. Papa et Maman se baignent à tour de rôle (quel manque de confiance) pendant que je joue sur les coussins que Maman a mis dans le fond du cockpit. Puis Papa retourne à terre pour téléphoner à Star Voyage. Quand il revient, il n’a pas l’air franchement ravi, mais il n’est pas énervé. On lui a redemandé d’aller à Union, et devant son refus, accepté de faire travailler GYE. Quelques minutes plus tard, Peter de GYE arrive. Avec Papa il démonte tout le système de barre. Sur les genoux de Maman je les envie de jouer avec ces tournevis si attirants. Une demi-heure après, l’arrière du bateau est bouleversé. La colonne de barre est par terre, le compas démonté, sur le banc tribord et les drosses examinées par Peter qui les a dans les mains. Il s’agit de câbles d’acier de 8 millimètres, dont l’un est complètement effiloché et cassé. On s’aperçoit bien que la cassure a commencé il y a longtemps. Sur l’autre il y a des gendarmes, qui conduiront au même résultat d’ici 1 mois ou deux, nous explique Peter (c’est Papa qui traduit, car Peter ne parle qu’anglais). Pour conclure, ledit Peter a le mot qui tue : “ I’m so sorry, but I’m afraid to not have the good cable, here. You have to order it in Martinique, and as soon as you get it I’ll install it for you, in half an hour ”. Papa lui demande combien de temps il estime qu’il faut pour faire venir la drosse à Béquia et en bon descendant de Normand, cet anglais de Peter lui annonce : “Ca dépend, entre 2 et 4 jours ”. Sur ce il s’en va et Papa boit un grand coup de Punch Coco.

Pendant que Papa s’arsouille pour oublier, Maman prépare mon déjeuner (je déjeune toujours avant eux) et je le mange avec délice. Pendant ma sieste les parents prennent leur déjeuner, vont se baigner pour digérer. A 2 heures, alors que je me réveille, notre chef de famille, va téléphoner à Star Voyage pour leur demander d’envoyer une nouvelle drosse à GYE. Le temps de la fabriquer, de l’envoyer, de la faire arriver à Béquia et de la remonter prendra au total 3 jours. Il faudra passer son temps à téléphoner, courir chez GYE, veiller la VHF et nous n’aurons qu’une demi-journée de tranquillité que nous passerons à visiter Béquia en taxi. Comme nous avons toujours de la chance, il a plu pendant presque toute la visite. Nous avons cependant visité la ferme des Tortue, Maman a été emballée par les magnifiques mini-vaches de l’île au pelage brun noir soyeux.

Jusqu’au samedi 15 heures, nous avons vécu entre les coups de téléphone que Papa a donné ou reçu, les arrivées du Béquia Express et les renseignements donnés par GYE. A part cela nous nous sommes promenés dans Port-Elizabeth, où mon succès personnel et celui de ma poussette n’ont fait que croître, baignés, allés au restaurant et tout ce qui fait que ce n’était quand même pas le bagne. A 15 heures, le samedi, alors que Papa était en train de craquer (la drosse devait arriver vendredi midi, puis samedi matin, puis en fin de matinée et enfin en milieu d’après midi) Peter est arrivé, a remonté le tout et demandé à Papa d’aller payer au magasin. Bilan : 3 jours à Béquia et 200 US$.

En me relisant ma prose, mon géniteur me dit trouver que j’évacue un peu vite l’escale à Béquia. Mais c’est parce que mes parents m’ont beaucoup déçue. Je croyais être tout pour eux, qu’ils se priveraient de tout pour moi, eh bien non ! ! ! Le jeudi soir, ils ont profité de mon sommeil pour me voler, je ne vois pas d’autre mot, si ce n’est spoliation et abus de position dominante. J’explique : lors de ma naissance, il y a un peu plus de neuf mois, Philippe m’avait fait un cadeau de naissance comportant, entre autre, une truffe. Cette truffe a été emportée pour être dégustée pendant notre voyage. Hors donc, le jeudi 11 mars au soir, Maman prépara des œufs brouillés et la truffe après avoir été humée par ma parentèle fut proprement découpée en rondelle et ajoutée aux œufs. Et que se passa-t-il dans la tête de ces parents indignes ? Je ne sais quoi répondre, toujours est-il qu’ils ont tout mangé sans m’en laisser une miette. Voler leur fille de 9 mois ! ! ! Profiter de la faiblesse d’un enfant, que dis-je, d’un bébé, ……… C’est à cause de la honte que cet acte si vil m’a inspirée que j’avais tu cet épisode lamentable.

Toujours est-il que Philippe a un don de double vue, car hier au courrier (30 mars 99), il y avait un paquet envoyé par lui contenant un vêtement que j’avais oublié chez mon parrain etc.…. une autre truffe. J’espère que celle-là ils ne vont pas se la boulotter en cachette. Ceci dit, ils ont fait la même chose en mangeant, sans moi, une boite de pâté grand-mère qu’ils avaient emportée pour donner à oncle Rémy et tante Ghislaine et qu’ils n’ont pas pensé à donner. L’escale de Béquia fut très décevante comme chacun peut le comprendre.

Avant d’être interrompue, je disais que nous étions enfin dépannés ce samedi 13 mars à 15 heures. Papa appela le bateau ravitailleur pour faire les pleins d’eau et de gas-oil. Puis pressés de se sentir libérés, nous levâmes l’ancre (c’est une image car tout le monde se souvient qu’on était mouillé sur corps mort) en direction de Moustique. Certes Papa en avait vraiment assez d’être bloqué, mais là il a fait une belle boulette. Lui qui prévoit toujours bien sa navigation, et son heure estimée d’arrivée il décida sans “ réfléchir avant d’agir ”. Bref, toutes voiles dehors, nous quittons Béquia. Une bonne heure après le départ, il devient évident que nous ne pourrons pas arriver avant la nuit, et dans les parages la navigation de nuit est fortement déconseillée. D’autre part Maman, très échaudée par la rupture de la drosse de barre, a perdu quelque peu confiance dans notre navire.

Rapidement Papa consulte la carte et le guide Patuelli et décide avec Maman d’aller mouiller à l’Ile à Quatre. Nous y arrivons une demi-heure avant la tombée de la nuit. L’ancre file dans 4,5m d’eau et le bateau s’arrête perpendiculairement à la côte, face à un Alizé relativement costaud. Le cérémonial du soir se déroule normalement et je m’endors sans difficulté bercée par le roulis. Du coté parental, les choses vont moins bien. Maman demande à Papa s’il est sûr que le mouillage tiendra, et sans réfléchir (ce n’était pas son jour de réflexion) Papa répond qu’en bateau on n’est jamais sûr à 100% et qu’il peut toujours se passer quelque chose. Que n’avait-il dit ? Maman n’a pas confiance, voudrait partir tout en sachant qu’on ne peut pas vraiment faire route de nuit, etc.

Bien ennuyé, Papa, qui irait bien dormir, propose soit d’aller au large et mettre le bateau à la cape, soit de faire des quarts de mouillage c’est à dire somnoler à tour de rôle sur le pont en surveillant de temps en temps l’évolution du vent et les indications du sondeur. C’est cette dernière solution qui sera choisie. Tout s’est bien passé sauf que vers 1 heure du matin le courant s’est inversé et que le bateau équilibré entre force du vent et courant roula sérieusement. A part cela rien de grave, quoiqu’il soit impressionnant d’avoir la poupe du bateau à moins de dix mètres du bord quand on est le seul bateau mouillé sur 15 milles à la ronde. Réveil vers 7 heures, petit-déjeuner et tout le toutim propre à un bébé bien entretenu, puis Papa relève l’ancre (maintenant il met sa ceinture pour mal de dos) pendant que Maman s’occupe de la barre et … du moteur, si, si je vous promets. Les voiles sont hissées et cap au 210 vers Mayereau, dont l’oncle Guy-Henri nous a tant rebattu les oreilles. Alizé toujours à 20/25 nœuds, mer agitée, nous fonçons à 7 nœuds vers la balise dont Papa a rentré les coordonnées dans sa machine magique, le GPS. Sous un bon soleil, et rafraîchis par le vent nous mettrons un peu plus de trois heures pour arriver au nord de Mayereau.

Le but, c’est Salt Whistle Bay, au nord-est de l’île. En arrivant dessus cela ne paraît pas transcendant : quelques arbres et du corail, mais en se rapprochant, on voit qu’il y a une anse bien protégée, une superbe plage de sable blanc, des cocotiers penchés sur la mer comme sur les cartes postales et un isthme de quelques mètres séparant la mini-baie de l’océan. A dix heures et demie, Papa plonge pour vérifier que l’ancre est bien crochée, et ne remontera à bord que 20 minutes plus tard. L’eau doit être bonne. Maman, dès qu’il remonte à bord, plonge aussitôt (plonger est un bien grand mot, puisqu’elle met autant de temps à se mouiller qu’au Dréven en Baden). L’après-midi, Papa m’emmène avec Maman sur la plage (avé l’annexe et son petit moteur qui me fascine toujours autant). Il y a de gros rouleaux à l’arrivée et Papa se jette à l’eau pour retenir le youyou. Je descends dans les bras de Maman qui m’installe à l’ombre d’un cocotier. Heureusement que Papa est là : il déplace mon camp de base installé pile dans la trajectoire d’une noix de coco. Nue comme un ver, Maman m’emmène me baigner (ne fantasmez pas, c’est moi qui suis nue, pas Maman). L’eau est tiède et j’apprécie beaucoup, si ce n’est ce fichu chapeau que Maman trouve si joli et qui m’exaspère toujours autant. Papa vient s’occuper de moi, et décide de m’apprendre à nager. Je suis allongée sur le dos, je tape des mains et des pieds, wahou ! ! ! Que c’est agréable ! Je reste dans l’eau une bonne demi-heure, prise en photo par mes parents subjugués devant tant de grâce, et ce n’est que parce qu’ils sont fatigués de me porter que je sors. A l’ombre du cocotier, sur ma serviette, je souris gentiment à tous les équipages (surtout les équipières) qui viennent me voir. Puis nous rentrons à bord ; ah ! Ce moteur Yamaha 2 CV, j’en veux un pour moi toute seule. A bord, tout serait parfait, si un Oceanis 51 monté par un équipage de deux couples de yankees avec enfants, n’avait pas sa sono à fond. Plus sans gêne que ces compatriotes de Bill et Monica, ça n’existe pas. Heureusement qu’il y a les enfants ! Quand ils sont couchés les parents sont obligés de couper la musique. A notre bord tout est calme et serein. Je suis couchée sans difficulté et pendant que je rêve de plage de sable blanc, de cocotiers et de moteur 2CV, les parents font un bon dîner arrosé de rosé. Rideau.

Lundi matin, l’Empereur, sa femme et le p’tit prince,
Sont venus me voir pour me serrer la pince, ….. etc.
non, pas de famille impériale mais un gentil soleil qui emplit le carré. Après le petit-déjeuner, baignade pour papa et maman à partir du bateau, puis trajet jusqu’à la plage encore ombrée pour mon bain du matin. Je ne sais pas pour vous, mais moi c’est un programme que j’apprécie particulièrement. Je batifole dans l’eau soutenue par l’un de mes vieux parents (sans mon fichu chapeau, car le soleil n’est pas encore trop fort). Un monsieur tout noir balaye la plage et il me fait des signes auxquels je réponds par de larges sourires. Maman se baigne et se promène sur la plage, à moins que ce ne soit le contraire, puis nous rentrons à bord. La grande question c’est : “ Où allons mouiller aujourd’hui ? ”. D’après ce que je comprends nous partirons vers 10-11 heures pour Petit Saint-Vincent, autre lieu dont oncle Guy-Henri parle avec des trémolos dans la voix. La manœuvre de départ est maintenant bien rodée. Papa met sa ceinture dorsale, démarre le moteur et explique la marche à suivre à Maman, qui sera en charge de la barre et du moteur. Puis il va à l’avant pour remonter l’ancre. Il donne ses instructions à Maman par gestes : le pouce en l’air, en avant doucement ; Index et pouce formant un O : point mort, main à droite = barre à droite et inversement…l’entente parfaite et tout se passe à peu prés bien. Là il a fallu que papa revienne rapidement à la barre car le vent a contrarié la manœuvre, mais sans gravité. Les voiles sont hissées dès la sortie de Salt Whistle Bay et c’est parti. Papa décide de suivre, pour une fois, les chenaux et ne risque donc pas d’aller gratter la quille sur les coraux.

De balise en balise nous sommes poussés vers Morpion et Punaise qui marquent l’entrée du mouillage de Petit Saint-Vincent. Mon parrain avait raison, c’est superbe. Papa fait des photos de Morpion et de sa paillote, mais nous ne mouillons pas là à cause du monde et surtout de l’Alizé toujours costaud. Si demain il est plus calme on s’y arrêtera. Nous allons donc devant la plage de PSV où le mouillage n’est fréquenté que par 4 autres bateaux. L’ancre est jetée une première fois, mais n’accroche pas. Pour ne pas déranger un bateau suédois arrivé avant nous Papa remonte l’ancre et recommence l’opération. Cette fois il met à peu prés 25 mètres de chaîne pour 3 m de fond, et ça tient. Une fois encore l’endroit est superbe, l’eau délicieuse et les parents s’en donnent à cœur joie : bains, farniente et “ snorkling ” (décevant car peu de poissons). En milieu d’après-midi nous accostons avec l’annexe au petit wharf. La poussette est débarquée et montée et nous partons visiter l’île. Pas longtemps, car tout est privé et des panneaux annoncent qu’il est “ interdit d’aller au-delà de cette limite ”. Nous nous replions sous une paillote sur la plage, et moi aussi, j’ai droit à un bon bain de mer. Après cet exercice nous retournons à bord. Un magnifique ketch bleu arrive. C’est un américain, et celui-là n’a rien à voir avec ceux de la veille. Le bateau, d’abord : 20, 25 mètres qui brillent de partout ; pas un bout à dépasser, les voiles magnifiquement pliées. La manœuvre : pas un bruit, pas un cri. Le bateau vient à 5 mètres de notre arrière, s'arrête, l’ancre file pendant que le bateau cule. 60 mètres de chaîne tombent à l’eau et le ketch s’arrête. Aussitôt l’annexe est sortie (un zodiac avec un moteur de 90 CV), une boule de mouillage hissée dans la mature, des parre-battages installés le long du bord entre annexe et bateau. A l’arrière, sur un mâtereau, il y a un magnifique pavillon américain dont l’extrémité affleure l’eau, et en haut du grand mat, sur sa hampe, le pavillon de club. Le propriétaire et trois autres personnes veulent aller à terre, pas de problème. Un des membres d’équipage, tee-shirt blanc, short beige et dock-sides bleues monte dans l’annexe, démarre le moteur (démarreur électrique), amène le you-you jusqu’à l’échelle et aide les dames à monter. Ensuite à vitesse réduite pour ne pas secouer les autres bateaux il les conduit jusqu’au wharf. Rentré à bord, il doit y avoir une veille car dès que les patrons montrent leur nez, l’annexe repart les chercher.

Mais le plus beau et ce qui totalement bluffer Papa, c’est le soir et le matin. A la tombée de la nuit, à 19 heures très exactement, les couleurs sont amenées, et le pavillon plié comme à la parade. Le matin à 8 heures pétantes, les couleurs sont hissées avec le même cérémonial, il ne manquait que l’hymne national. Bien entendu, la nuit tombée, la boule de mouillage a été remplacée par un feu blanc tout à fait réglementaire : la grande classe. Pour couronner le tout, les dames du bord, demandait à leur barreur de passer tout prés de notre bateau, pour avoir le plaisir de me voir. A terre, elles sont venues me saluer et me voir prendre mon bain de mer. Comme quoi, il ne faut pas généraliser : il y a des américains bien élevés. Comme chacun peut s’en rendre compte, l’activité des bateaux voisins nous occupe beaucoup. Cela n’empêche tout de même pas mes parents de se baigner à longueur de temps. Le soir, pendant que Papa boit un verre de punch-coco en fumant la pipe, Maman s’occupe de ma petite personne : mise en tenue de nuit et dîner. A ce propos, je dois avouer, que je la fais enrager un tantinet. En effet, alors qu’à la maison je mange légumes et fruits frais, ici je n’avale que des petits pots, avec une nette préférence pour ceux achetés à Béquia, qui sont quasiment entièrement chimiques, hum ! ! ! . Les bananes que Maman a achetées en masse, vont pourrir, car je refuse d’en goûter une seule, et ne parlons de l ‘ananas. Après leur dîner, les parents restent à deviser et rêvasser sur le pont avant d’aller se coucher, relativement tôt.

Vers 7 heures le lendemain, je joue au réveil matin. Je suis obligé d’agir ainsi, car sans cela j’en connais qui resterait dans leur bannette jusqu’à 10 heures. Papa monte sur le pont en même temps que l’équipage du bateau américain, mouillé derrière. Lui boit tranquillement son café alors que les Yankees sont au boulot : changement du feu de mouillage pour la boule du même bois, lavage du pont et tout ce qui rend la vie du marin tonifiante. Papa quant à lui, préfère se baigner tranquillement. Mais ne soyons pas médisante, il a tout de même nettoyé le pont. C’est normal d’ailleurs, parce que c’est lui qui le salit avec sa pipe puante. Après le bain de Maman, on m’emmène sur la plage pour que je puisse moi aussi profiter des bienfaits de la mer Caraïbe. Après quoi, nous décidons d’aller à Union. Le mouillage de Clifton, aperçu à l’aller nous a semblé idyllique. Manœuvre de mouillage impeccable, Maman domine de mieux en mieux le moteur du bateau, et sous grand-voile seule nous quittons PSV. Passage entre nos copains Punaise et Morpion sans nous arrêter ; ce sera pour une prochaine fois. Je me serais pourtant bien vu seule sous la paillote, telle une star abandonnée de Dieu et des hommes, enfin, je suis encore jeune et je pourrais réaliser ce rêve un peu plus tard. La navigation jusqu’à Union est aussi courte que sans histoire tant le balisage est bien fait. A peine arrivés nous sommes pris en charge par un taxi-boat qui nous conduit à un superbe mouillage. Nous sommes en première ligne, juste devant la barrière de corail. Un îlot, qu’on aurait appelé Motu en Polynésie, est pile face à l’étrave. Cela vaut les 15 US$ demandés. L’Alizé, encore une fois en pleine forme, nous rafraîchit gentiment. Puisque les grands vont déjeuner à terre, il faut me donner mon repas un peu plus tôt. A 12h30 pétantes, le taxi-boat vient nous chercher poussette incluse. La distance entre le village et le bateau est trop importante pour que Papa prenne le risque de nous conduire avec l’annexe.

Pour aller, il n’y aurait pas de problème, mais pour le retour, si le mignon petit moteur se met à faire le pitre, il faudra pas mal de temps et d’efforts pour rentrer. C’est une chance, car j’aime ce taxi. Il va très vite et je suis obligé de cligner les yeux à cause du vent. Je rigole tout le temps du trajet, et c’est contagieux car le noir rit aussi. Il nous débarque chez un copain qui tient un restaurant, mais nous n’aimons pas le cadre et partons en exploration. A l’abri du vent la chaleur est insoutenable, surtout pour moi qui dois supporter cet infernal bibi sur mon crâne. Maman essaie bien de me pousser à l’ombre, mais à cette heure, il n’y en a pas. Nous longeons la mer en direction des pontons où Papa a repéré des restaurants. Où que l’on soit, je ne sais pas comment il fait, mais il n’hésite jamais pour trouver le chemin de ces endroits. Papa remplace Maman aux commandes de la poussette, car le béton a fait place à un chemin empierré. Sur ce genre de route Maman ne rate jamais les pierres qui vont coincer les roues de mon véhicule et il vaut mieux qu’elle n’ait à s’occuper que de sa propre route. Nous trouvons un estaminet avec vue sur la baie qui paraît plus avenant que celui proposé par notre taxi-driver.

Visiblement Papa et Maman se régalent. Je ne sais plus ce qu’ils avaient choisi mais ils n’ont cessé de s’extasier. Quant à moi, j’aime bien ma poussette qui fait sensation lors des débarquements en annexe, mais là il ne faut pas exagérer. J’ai tant et si bien fait que Maman m’a pris sur ses genoux et j’ai pu jouer avec les couverts, la nappe et tout ce qu’il y avait à ma portée. Papa n’a sauvé son verre de vin qu’in extremis.

Quel bonheur de les empêcher de parler en tapant de toutes mes forces sur la table avec une fourchette ! Mais ils n’ont pas le sens de mes petites joies, et ils m’ont remise dans la poussette. Après ces agapes nous avons visité le mini centre commercial jouxtant le restaurant. Nous y avons vu le rêve d’oncle Guy-Henri : sous une paillote, dans un bassin octogonal, il y avait un vivier plein de langoustes, le tout au milieu d’un ravissant jardin bien fleuri et bien aéré. Malheureusement ces animaux ne sont proposés qu’au menu du soir, et moi le soir je dors, ce qui contraint les parents à dîner à bord. Nous retournons au débarcadère du premier restaurant où notre mentor nous a donné rendez-vous. A nouveau un voyage dans le speed-taxi-boat, ce que j’apprécie tout particulièrement et nous revoilà à bord, mouillé au milieu de nulle part. Sieste pour moi, bains et plongée pour Papa et Maman. Maman est allée visiter le Motu en face de nous : c’est très amusant. Il y a un indigène qui s’y est installé. Il a monté un abri précaire et décoré l’accès à son domaine avec plein de coquille de lambis, style décoration d’un autel de la Vierge Marie dans une église portugaise. En revanche Papa est assez déçu car le récif de corail est quasiment désert. Quelques petits poissons noirs et tristes se baladent furtivement, très peu de couleur à part l’orangé du corail ; c’est sans doute l’effet d’une certaine pollution, alors que l’eau est si claire ! Question voisinage, nous sommes encore gâtés. Sur notre gauche est mouillé sur ses propres ancres affourchées un petit cotre en bois, peint en rouge. Le bateau d’environ 8m50 doit approcher la soixantaine d’années et son skipper, lui, doit être plus prés des soixante-dix. La femme du bord a presque l’âge du bateau. Comme annexe, ils ont un petit you-you en bois, de la même couleur que le bateau et qui ne doit pas mesurer deux mètres. Les vernis sont impeccables, les bouts lovés comme à la parade et les voiles ferlées bien serrées. Toute l’après-midi le capitaine bricole ladite annexe. Il visse, perce sans arrêt, et jamais Papa ne comprendra ce qu’il fait.

Pendant ce temps l’équipière lit en tournant autour du soleil, très préoccupée par l’agencement des cousins qui protègent ses vénérables os de la dureté de ce bateau petit et visiblement pas très confortable. Le soir il part seul à la godille sur son you-you, une bière entre les genoux. Vraisemblablement il va boire un coup de rhum au lolo le plus proche. Le plus proche est tout de même a un bon demi mille et parcourir la distance sur un engin de deux mètres à la godille quand on tangente les soixante dix ans est une sacrée performance. A l’aller, le vent de 20 nœuds est portant mais au retour. Il nous a bien eus : il avait des avirons, et ces comme cela qu’il est revenu, ce qui est tout de même pas mal. En arrivant à notre hauteur il vient jusqu’à notre bord et parle avec Papa. Il est anglais et nous indique que si nous avons des problèmes il faut appeler sur le canal 14 de la VHF, où il y toujours quelqu’un pour venir en aide aux plaisanciers en détresse. Papa et Maman reste dubitatif sur sa démarche et moi je pense qu’il m’a trouvé si adorrrrrrrrable qu’il craint qu’il ne m’arrive quelque chose. Coucher du soleil derrière l’île, dîner, douche et hop ! au lit. J’ai un doute ……… il me semble que Papa attende quelque peu ce moment ou je vais me coucher dans ma cabine. Il paraît légèrement libéré, avachi sur les coussins du cockpit, un verre dans une main, la pipe de l’autre. Sans commentaires.

Lever en même temps que le soleil le lendemain matin, et c’est très joli à voir. Mes parents ont vraiment de la chance de m’avoir, sans cela il raterait ce magnifique spectacle à rester couchés dans leur bannette ! Rituel des matinées : petit déjeuner, toilette et habillement (juste une couche et une chemisette), puis Papa et Maman se baignent à tour de rôle. Cependant aujourd’hui nous avons un peu moins de temps puisque nous commençons la remontée vers la Martinique. On doit aller à Canouan, à mi-chemin entre Union et Béquia. Notre voisin, le cotre rouge, est aussi en partance. Il a déjà remonté une de ses deux ancres, et son équipage hisse le you-you de deux mètres qu’il pose à l’envers sur le capot de descente. L’espèce de Moitessier anglais enlève les différents tauds pendant que Papa prépare notre départ à nous.

Pour une fois l’Alizé est raisonnable, avec tout de même des rafales. On me met dans ma cabine (c’est pour cela que je n’aime pas les départs), Papa démarre le moteur, Maman prend sa place à la barre et aux commandes du Diesel pendant que son homme va larguer le mouillage …. et c’est à ce moment qu’une bonne rafale vient chambouler la manœuvre. Papa a juste le temps de courir à l’arrière, mettre la barre à tribord toute et le moteur arrière toute et nous n’évitons le cotre que de 1 ou 2 mètres. Le capitaine d’icelui, applaudit Papa, et je suis très fière de lui. Nous quittons Union par la passe sud-est au moteur et ce n’est qu’en face de Saline Bay (Mayereau) que les voiles sont hissées. Pendant ce temps notre ex-voisin quitte aussi son mouillage et il le fait en vrai “ voileux ”. Il hisse sa grand-voile, remonte sa dernière ancre, prend le vent bâbord amure et doucement va vers la passe. Avant d’y arriver le génois est envoyé et bordé et le petit bateau fonce vers la sortie. Quelle belle manœuvre ! Papa en est tout ébaubi. Il raconte à Maman qu’avec le cousin Alain, ils quittaient ainsi les mouillages quand ils avaient leur Mousquetaire sans moteur. Quant à nous, on se rend compte immédiatement que c’est la fin des vacances qui approchent. Dans ma cabine où je suis lâchement abandonnée, je me fais secouer comme dans un shaker et ça ne rate pas, je tombe sur le dos, position idéale pour dormir, mais pas pour jouer. Je démarre ma sirène d’alarme personnelle et Maman arrive. Elle me cale avec des coussins et remonte sur le pont : si je comprends bien, en haut lieu on souhaite que je dorme un peu ! ! ! ! D’après ce que j’entends, Maman est à la barre pendant que Papa s’occupe des voiles et de la navigation. En fait nous sommes au prés bon plein, ce qui nous permettra d’arriver sans tirer de bord.

Après quelques heures de navigation nous arrivons à la pointe sud de Canouan. N’étant pas fanatique du louvoyage, Papa affale les voiles sitôt la pointe débordée et c’est au moteur que nous entrons dans la baie, et moi, on me ressort sur le pont. De l’entrée de la baie jusqu’au mouillage il y a environ 4 milles d’une eau bleue des mers du sud. Papa est allé au moins trois fois relire sa documentation, car très vite il ne reste plus que 3 à 4 mètres de fond. Cette faible profondeur restera stable pendant 3 milles, en fait jusqu’à la plage. Nous arrivons devant un hôtel restaurant qui se présente comme étant le Yacht Club. Il y a une vingtaine de corps-morts libres, et bien entendu Papa qui déteste remonter l’ancre en choisit un. Pas un seul Taxi-Boat n’arrive pour nous taxer des 10$ usuels. Nous nous amarrons donc seuls. Les autres bateaux, 5 ou 6 ont préféré mouiller sur leur ancre au nord de la baie. Il est vrai que devant l’hôtel il y a l’épave d’un catamaran Vénézia de Tropical Yacht Charter, guère rassurante quant à la sûreté du corps-mort. Papa va le vérifier en plongée et note que si l’amarre en cordage est quelque peu abîmée, la chaîne et son accroche au fond semblent très costauds, il est d’un optimisme sans limite quand il peut éviter de manœuvrer l’ancre. Ce mouillage sera le plus calme de tous ceux que nous avons fréquentés, le plus chaud aussi car il n’y a quasiment pas un souffle de vent. La plage est superbe, bien entretenue sans un seul papier ou autre déchet. A 500 mètres un petit caboteur d’une cinquantaine de mètres décharge sa cargaison, puis, pour le plus grand plaisir de Papa s’en va. Il recule en ligne droite sur un demi-mille, à cause du peu de fond sans doute, puis machine en avant lente il vire et part vers le nord. A 11h30, le rituel reprend ses droits. Maman me donne mon déjeuner pendant que Papa s’arsouille sur le pont à l’abri des tauds de soleil.

Les parents décident de déjeuner dehors, ce qu’ils n’avaient jamais fait jusqu’alors à cause du vent et parce qu’il faisait plus frais dans le carré qu’à l’extérieur. Je veux profiter de l’aubaine et refuse donc de dormir dans ma cabine. Ma voix stridente les fera fléchir et j’assiste à leurs agapes : salade et couscous, sans parler du rosé de Papa. Sur les genoux de Maman je peux m’adonner à l’un de mes jeux préférés : faire du tam-tam avec les couverts sur la table. Papa n’apprécie pas trop mes talents de batteur, et je dois cesser faute d’instrument. Maman me pose dans le fond du cockpit et je joue avec les palmes et surtout le tuba. Après le café je fais une sieste pendant que les parents s’abandonnent aux joies de la baignade. L’un après l’autre ils nagent jusqu’à l’épave du catamaran sur la plage. Ils reviennent impressionnés par l’état de l’engin. Le bateau est ensablé pour une bonne moitié, mais le plus frappant est que la mer l’a littéralement explosé. Il y a encore des geysers provoqués par les vagues du ressac qui rentrent par les trous dans coque. Dans le milieu de l’après-midi, un autochtone vient le long du bord. Papa s’apprête à payer les 10$ habitues, mais que nenni, notre homme vient simplement nous demander de changer de mouillage car les cordages du nôtre sont en piteux état et qu’il doit en mettre des neufs (et Papa qui avait vérifié ! ! !).

Il nous indique la meilleure des bouées, nous aide à prendre ce nouveau corps mort et s’en va travailler sans demander le moindre cent ! Canouan est vraiment une île à part. Dès qu’il fait un peu moins chaud Papa nous emmène au Yacht Club prendre un pot. L’hôtel, avec son superbe jardin bien ombragé au bord de la plage donne envie d’y venir se reposer pendant quelque temps. Au bar, toute une flopée d’accro regarde un match de foot à la télévision pendant que Maman sirote un jus de fruit avec mon aide et Papa une bière. Le long de la haie qui borde l’hôtel il y a tout l’accastillage du catamaran démoli au grand complet, de quoi équiper un nouveau bateau ! ! ! ! Une fois de plus, je passe de bras en bras, me fais embrasser par tout l’élément féminin de l’hôtel, employées et clientes, toujours le même succès, mieux que Céline Dion. En revanche Papa prend un sacré coup de vieux. En effet, l’une des serveuses du bar quand, je ne sais pourquoi, il lui dit que je suis sa fille, s’exclame : “ Really, she’s your daughter ! I can’t imagine that ”. Maman a bien rigolé, mais lui beaucoup moins. Après cette pause nous rentrons à bord pour la dernière vraie soirée de vacances, puisqu’à partir de demain c’est la route du retour, avec horaires à respecter etc.. Le mouillage est tellement calme que nous dormirons comme des bébés, ce qui pour mon cas personnel est tout à fait de rigueur.

Ce matin, nous sommes réveillés par un gros grain accompagné de violentes rafales de vent. Dehors, le ciel est tout gris et il fait à peine chaud. Papa sort fumer sa pipe avec un sweat-shirt, c’est pour dire. Il surveille le ciel, à la recherche du bleu, mais pour l’instant, rien. Il redescend assez vite pour préparer la navigation vers Béquia où nous devons faire la clearance de sortie. Aujourd’hui, personne ne va se baigner après le petit déjeuner, même si le ciel s’éclaircit un peu. Papa range le bateau comme il ne l’a encore jamais fait : tout est calé, bloqué, arrimé. Maman ne dit rien mais semble comprendre et l’aide. Quant à moi, comme d’habitude je fais les frais du départ. Il y a tout de même un changement car je suis installée dans la cabine des parents qui est à tribord où je serais plus confortable puisque le bateau va gîter sur l’autre bord, l’avantage, précise Papa, c’est que dans cette cabine on peut laisser la porte ouverte en navigation et qu’ainsi je serais moins isolée. Moins isolée peut-être, mais encore abandonnée, je décide donc de parfaire ma nuit. Pendant ce temps, le moteur est démarré, Maman est à la barre et Papa va larguer le mouillage. Coordination parfaite tout se passe idéalement et dans le calme.

Un anglais part juste en même temps que nous. Maman barre assise sur le banc amovible donnant accès à la jupe, quand le vent se met à souffler violemment. Elle sent le banc se soulever et, inquiète, appelle Papa. En fait sous la violence de la rafale l’annexe ne navigue plus derrière nous, mais vole, et son amarre soulève ledit banc. Papa attrape un bout et se précipite pour renforcer l’amarrage de l’annexe en la retenant au vent. Celui-ci est de plus en plus violent accéléré par les collines de l’île. En déroulant le génois d’un tiers on file déjà 5 nœuds. Sous cette voilure réduite, avec le moteur qui tourne pour produire l’électricité nécessaire, tout se passe bien tant qu’on est à l’abri de l’île. Mais en atteignant la pointe nord, la mer devient sérieusement agitée. Dans ma cabine je valse d’un bord sur l’autre, heureusement que Maman m’a entourée de coussins. Quant à ma très chère mère, à la barre, elle n’est pas à la fête. Le bateau est très dur à maintenir sur son cap et puis elle commence à avoir une certaine inquiétude quand elle voit les Anglais partis en même temps que nous faire demi-tour. Papa décide d’envoyer la grand voile à deux ris pour équilibrer notre esquif. Pendant la manœuvre, une vague plus forte surprend Maman qui se casse la figure dans le cockpit.

Ce n’est pas grave mais cela lui flanque une trouille bleue à la limite de la panique. Papa termine l’envoi de grand voile en parlant très fermement à Maman pour la calmer, puis borde sa voile et prend la barre. La mer est bien formée : un Santorin, bateau de 14 mètres construit par Amel est à quelques encablures de nous et dans les creux on ne le voit plus, quant à notre annexe, elle préfère nous suivre sans se mouiller, volant derrière. En fait le vent qui doit souffler à 30/35 nœuds gonfle la houle de 2,5m annoncée et comme nous sommes au prés serré, c’est très impressionnant. Rejointe dans ma bannette par Maman, je joue tranquillement avec elle qui ne semble toujours pas très rassurée. A tel point qu’elle va faire une b&a

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