Cervantes trophy 2015


C’est avec une bonne dose d’humilité mêlée d’appréhension que nous nous alignons samedi devant le Royal Yacht Squadron au départ de la Cervantes Trophy; première course en Manche de la saison du RORC 2015 qui doit nous mener jusqu’au Fastnet.

Tous les cadors sont là, d’Angleterre et du Havre bien sûr, mais surtout nos voisins de ponton Cherbourgeois: Night & Day, vainqueur toutes classes du dernier Fastnet,  Raging Bee fraichement couronné à la Carribean 600, Sous Mama Boulé, un JPK 960 fort véloce,  et l’A35 Pen Tach –notre frère ennemi- qui nous mis un wagon sur la dernière Cowes-Cherbourg.

Notre bateau a été bien préparé cet hiver, et nous avons déjà cassé à peu près tous ce qui pouvait l’être, mais il sort malgré tout d’hivernage avec tout juste 150 milles de rodage au compteur.

L’équipage paraît lui aussi exceller sur le papier et sort d’un entrainement spécifique, mais n’a jamais navigué en course ensemble. Ce matin, ils sont encore un peu verts de la veille… 

Pas du pub, mais des 10 heures de route jusqu’à Bembridge dans une mer démontée, sous ORC la plupart du temps, sans pour autant duper la marée. Une retraite en règle et un détour par les Needles plus tard, ce sont 15 heures qu’il nous faut pour finalement rallier Cowes…

Pour les bizuth de la trans-Manche, le baptême du feu a été brutal. En ce petit matin blême devant le RYS, certaines têtes le sont tout autant, et les plus valides se demandent s’ils n’auront pas malgré tout double-quart sur les prochaines 24 heures.

Bah, le coup de canon de 10 heures nous sort de nos pensées et turpitudes digestives. Nous voila déjà dans le vif du sujet à 3 longueurs derrière Gery Trentesaux et son nouveau “Courier” qui disparaissent bientôt sous grand spi asymétrique dans les 20 nds de SW qui nous poussent vers les Needles.

Fruit d’un débat intense, notre choix du spi de capelage nous coûte clairement en vitesse, mais se révèle payant par sa tolérance aux variations de vent et d’angles.

A l’inverse de nombreux concurrents dont Pen Tach qui part sous spi maxi, nous ne partons pas au tas dans les baffes, ne perdons aucune place, et doublons un premier paquet jusqu’à Yarmouth. Puis nous résistons jusqu’à Hurst Castle aux assauts incessants de l’armada de J/109 sous grand spi au reaching, sans jamais fléchir.

Afin de se débarrasser des J les plus tenaces et profiter du courant, nous décidons de tirer tout droit sur le banc des Shingles en route directe sur la marque à virer devant Poole. La-bas sur le banc, ça moutonne grave, un peu comme s’il affleurait... Le navigateur soutient mordicus que ça passe, mais il a l’air un peu crispé, affreux doute ou nausée?

Pas de temps pour le doute: juste derrière nous Raging Bee remet du charbon sous grand spi, droit sur le banc. Du coup nous aussi, Banzaï! Nous lui rendons ses piques coup pour coup, la quille fredonne à 11 noeuds et le speedo s’emballe dans les surfs, jusqu’à 14 noeuds.

La lutte avec l’abeille enragée sera sans merci jusqu’à Poole où nous inclinerons de 3 longueurs à la marque, non sans avoir regagné encore quelques précieuses places au passage, pointant dans les 15 premiers après 25 milles d’un portant époustouflant.

Le suite est du coup assez monotone: un long bord de prés de 65 milles qui nous mènera jusqu’au phare de Gatteville en attendant la bascule pour virer. On ne lâche rien, mais les meilleurs J/109 s’échappent irrémédiablement avant que la nuit ne tombe. Nous dînons de pates fraiches au rappel, avant de réduire à l’avant, puis la GV à la tombée de la nuit.

Dedans c’est l’enfer: sous l’effet de la condensation, le bateau est plus ruisselant à l’intérieur que sur le pont, à la température ambiante de 9°,  constellé de pates du sol au plafond, et parsemé de rares corps secoués de spasmes, grelottant sur leur banette-éponge.

C’est tellement abject qu’en fin de nuit, certains préfèrent encore dormir dehors au rappel après un thé à la saveur suspecte, où le vent les sèche autant qu’il les réfrigère.

Bref, Charybde ou Scylla, il faut choisir….

La nuit, c’est le moment des conneries. On le sait, on voudrait bien les éviter, on en parle même, mais tout le monde est un peu dans le rouge. On rate presque la bascule, et virons à l’AIS vers 22.30 avec les derniers, heureusement toujours en vue de Raging Bee et Night & Day, avant de refaire deux virements pour renvoyer le génois lourd en tack-change…

Ensuite, on débride gentiment pour aller chercher la bouée A5 avant une discussion un peu tendue à la table à carte suivie d’une auloffée, puis d’une autre abattée avant un dénouement aussi définitif que tonitruant à la table à carte: “PORT ça veux dire BABORD, et on y est DEJA!”

Finalement, le jour se lève et nous sommes au milieu de bateaux biens plus gros, toujours au contact des meilleurs Classe 3, c’est toujours bon signe. L’équipage trop heureux d’échapper à l’ère glaciaire décide de rester au rappel et résister bravement aux assaut répétés (toujours) de la multitude de J et du Grand Soleil 50 Bella of London qui est sur nos talons depuis un moment.

Du poids, du réglage, et un velouté d’asperges plus tard, l’A35 galope au bon plein vers son picotin, jusqu’à 8.4 nds dans un vent de 17 à 20 nds pour finalement couvrir Bella sur la ligne. Après 21.37 heures de course, la trompe libératoire sur le petit bateau bleu de la SNPH sonne enfin.

On s’auto-congratule, heureux de se voir en si bonne compagnie et petit-déjeunons de bière et paté de campagne, en route vers Cherbourg, toujours à la poursuite des inénarrable Night & Day et Raging Bee, qui devant nous poursuivent leur lutte fratricide sous spi. Cette putain de course ne s’arrêtera-t-elle donc jamais?

On décide de lever le pied, ce qui se paye comptant devant le cap Lévi, en vue de notre rade chérie ou s’engouffrent maintenant les Abel et Cain du chantier JPK toujours à couteaux tirés, et subissons la proverbiale renverse Cherbourgeoise, rajoutant 5 heures à notre route de retour…

Des trains sont ratés, des épouses sont en pleurs au bout du fil, des rendez-vous sont annulés, il n’y a plus de bière à bord, ni de vin, juste un fond de Glenfiddich qui nous réchauffera à la disparition des derniers rayons de soleil…

Pourtant, une étrange et silencieuse félicité règne à bord. Les gars, partis inconnus les uns des autres sont maintenant les meilleurs amis et savourent impavides les derniers instants de cette épopée chimérique de 350 milles. De vrais enfants qui ne voudraient plus descendre du manège, trop contents d’avoir une bonne excuse (à condition d’être super didactique sur l’explication des marées à Madame)

Au final, nous terminons 17° dans notre classe, et 31° au général sur 115 inscrits, à une dizaine de minute des tenors de la classe: Je T’aime, Malice, Diablo J, Anticipation… et devant Jellyfish, Crackling Rosie, Tosholose ou Pen Tach qui nous taillent des croupière outre-Manche depuis trop longtemps.

Notre résultat est mitigé car nous aurions pu prétendre à un meilleur résultat, mais reste finalement satisfaisante au regard de notre relative inexpérience et des nombreuses autres mésaventures qui auraient pu nous arriver.

Surtout elle nous laisse encore une belle marge de progression pour la suite…

Retour le 23 Mai pour Myth of Malham et de nouvelles aventures.

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