20 mars 2001, lorna attaqué sur les côtes du venez


Le voilier Lorna a été attaqué par des pirates vénézuéliens près de Punta Toleta, au Venezuela le mardi 20 mars 2001. Venant de l’île Margarita, Lorna faisait route au moteur vers Trinidad. L’attaque a eu lieu par 10°44.6 N, 62°22.1 W. L’équipage était constitué de deux personnes : Bo et sa femme Vivi Altheden. Le récit de l’attaque, par Vivi.

20 mars 2001 lorna attaque sur les cotes du venez

"Nous avions quitté l’île Margarita à la voile le mardi 19 mars à 17 H. Le plan était de visiter les îles du Venezuela, mais la météo n’était guère engageante : le vent d’est hurlait dans les haubans jour après jour. L’idée de devoir retourner vers Trinidad dans du gros temps et de la grosse mer nous fit annuler notre programme aux îles Blanquilla et aux Roques.

Tôt le mardi matin, le temps était pourtant magnifique, pétole et mer d’huile. Nous décidons de continuer au moteur. Avec un peu de chance nous pourrions atteindre San Francisco Bay dans l’après-midi.  

A l’heure du déjeuner, alors que j’en étais à servir le repas dans le cockpit, Bo, mon mari, me signale : "Il y a un bateau de pêcheurs venant vers nous". Je me suis mise debout et j’ai vu une petite pirogue qui arrivait derrière nous à toute allure. Je me suis rassise, laissant Bo s’occuper des pêcheurs.

Bo s’est avancé sur les passavants pour discuter avec les pêcheurs. Je ne pouvais pas voir ce qui se passait, à cause de la capote. Lorna est un ketch en acier avec un cockpit central, et ce cockpit est très protégé par la capote et le bimini.

J’ai entendu Bo dire "pas de cigarettes. Je ne fume pas". Ce que j’ai entendu tout de suite après, c’était un coup de feu ! Bo est revenu dans le cockpit, hurlant à l’agonie, et s’est effondré. Je l’ai aidé à descendre dans le carré. Il s’est écroulé sur le sol, pissant le sang, la balle l’ayant atteint dans le dos, à gauche, sous la ceinture.  

Faux pêcheurs

Au même moment, quatre hommes armés sont montés à bord, sont entrés dans le cockpit, puis dans le carré. Je me suis repliée dans le salon. Deux hommes se tenaient debout près de Bo, un troisième regardait par la descente. Un quatrième était sur le pont et un dernier était resté dans la pirogue.
 
Selon Bo, les pirates avaient commencé à faire de grands signes de la main, réclamant des cigarettes, alors que la pirogue était encore à 100 mètres de Lorna. Ils se sont rapprochés. Bo était alors un peu suspicieux, parce qu’il ne voyait pas de matériel de pêche à bord de la pirogue, et aussi parce que tous les hommes étaient assis face à Lorna, sur tribord. La pirogue s’est encore rapprochée, et alors qu’elle n’était plus qu’à 20 mètres, les pirates ont saisi leurs armes, qu’ils avaient jusqu’alors cachées sous leurs guenilles. A ce moment, Bo s’est précipité dans le cockpit et a coupé le pilote automatique pour changer de cap. Immédiatement, la pirogue a accéléré, et l’un des hommes a tiré.
 
Bo a su qu’il était touché en sentant un coup dans son dos et en voyant le nuage de fumée dégagé par le canon du revolver. Il a bien cru que cette fois c’était bon, que sa dernière heure était venue. La balle est passée à travers l’os iliaque, a déchiré le colon et s’est arrêtée près du pancréas. S’en est suivit une hémorragie interne et une infection.
 
Dans le carré, un petit trapu a commencé à réclamer, par signes, mes bijoux. Ils parlaient tous espagnol. Puis le même a demandé "moneda", de l’argent, et "armas", des armes. Nous n’avions rien de ce qu’ils demandaient à bord. Ils ne m’ont pas crue, et ont commencé à fouiller le bateau, en renversant tout. Ils étaient extrêmement agressifs, je n’ai rien fait, j’étais paralysée par la vision de mon mari saignant et souffrant. Je gémissais, je pleurais : l'un d’entre eux s’est saisi d’un couteau de cuisine et me l’a mis sous la gorge.

Cagoule et fusil mitrailleur

20 mars 2001 lorna attaque sur les cotes du venez
A part le revolver, leurs armes semblaient vieilles et faites maison. L’un des hommes portait une cagoule, avec seulement des trous au niveau de la bouche et des yeux. Son arme ressemblait à un fusil mitrailleur à canon court, mais vieux et bricolé. Ils portaient des shorts, T-shirts et chemises. Le petit trapu était assez sale, un autre était grand, maigre et très soigné. Il semblait froid et calculateur, et il pointait son arme sur moi chaque fois que j’essayais de faire un pas vers mon mari.
 
Le petit trapu était clairement le leader, et il était extrêmement agressif, pointant son arme sur Bo chaque fois que mon mari essayait de relever la tête. Il avait les yeux exorbités, et ses mouvements étaient brutaux. Ils ont alors commencé à récupérer tout ce qu’ils pouvaient, en jettant le tout en pagaïe dans un sac de couchage. Les jumelles, les quatre paires de sandales, les palmes, les masques de plongée, un gilet de sauvetage, ma combinaison de survie, une lampe-torche, un sondeur à main, un petit compas, un Walkman, des chewing-gums… tout ce qui traînait.  
 
Après ils ont réclamé de l’alcool, je leur ai donné trois bouteilles de rhum et quelques cannettes de bière. A ce moment, je voulais qu’ils sortent du bateau, et j’ai dit "finito", en leur faisant signe de partir. Je leur ai aussi demandé "los tarjetas", les cartes de crédit, qu’ils ne pouvaient pas utiliser. Ils me les ont jetées, en gardant juste un petit porte-monnaie où il y avait l’équivalent de 15 US$ en bolivars. Le petit trapu a ensuite soigneusement arraché tous les micros du bord, notamment ceux du porte-voix et des deux VHF. Par chance, il n’a pas remarqué le micro de la BLU.
Ils se sont ensuite réunis à la poupe du bateau. A un moment je suis sortie, pour voir leur bateau, ils m’ont alors menacée avec leurs armes, en me faisant signe de m’asseoir. Au moment où ils sont partis, j’ai pu voir la pirogue : elle était blanche, avec une ligne verte et une grosse tache noire à l’arrière coté tribord. Pas de nom, ni de numéro. Il avait un gros hors-bord gris, probablement un Yamaha.

Mayday

J’ai soigné mon mari, qui saignait et transpirait. En rampant, il a pu atteindre le cockpit, où je l’ai installé aussi confortablement que possible avec des oreillers, en le couvrant d’une couverture. Il était conscient, et m’a demandé d’activer la balise EPIRB.

Après ça, j’ai lancé un message avec la VHF portable, mais sans obtenir de réponse. Nous avons croisé un bateau de pêche vénézuélien, d’environ 50 pieds. J’ai attiré leur attention en agitant un tissu. Ils se sont alors rapprochés et j’ai pu leur faire comprendre, en espagnol, que mon mari avait été blessé par des "banditos". Je leur ai demandé d’appeler Trinidad. Il n’y a pas eu de réponse. Ils se sont alors détournés et ont continué vers l’ouest.

Lorna continuait sa route sous pilote automatique. J’ai tracé la route sur l’ordinateur. J’ai ajusté le cap. J’ai passé très peu de temps sur la navigation, en fait.

J’ai appelé le canal 2182 (canal de détresse, ndlr) sur la BLU, mais sans obtenir de réponse. J’ai alors essayé toutes les fréquences des différents Nets que je connaissais. J’ai balayé ainsi toutes les fréquences à la recherche de gens "on air", jusqu’à ce que je réalise que ça ne marchait pas, que personne ne nous aiderait.

Vers 15 H, j’ai tout de même perçu des voix sur la fréquence 14303. Je suis passée sur le 14000 où la réception était claire. J’ai lancé : "break, break, mayday, mayday". J’ai eu une réponse d’Eric Mackie, de Trinidad, qui veillait sur cette fréquence tout en préparant un bulletin météo pour TV6. Je ne savais pas à qui je parlais, j’étais tellement soulagée de trouver quelqu’un à qui parler.
Une heure plus tard, j’ai soudain réalisé qu’il ferait nuit avant qu’on vienne nous aider. Les garde-côtes de Trinidad et de Tobago ont besoin d’une permission pour entrer sur les eaux vénézuéliennes, ça prend du temps et le Venezuela n’est pas très coopératif.


Intervention : 5 heures

Vers 18 H, j’ai vu un navire de patrouille venir à notre rencontre. Notre position était alors 10°46.1 N, 61°55.1 W. Par HF, on nous a demandé de modifier le cap pour prendre la houle de derrière. Le patrouilleur voulait se mettre à couple de notre voilier, mais je considérais cela comme impossible du fait de la forte houle, environ 6 à 9 pieds. Je préférais qu’ils accostent avec leur gros pneumatique, mais ils n’ont pas répondu à cette suggestion. Bo me dit qu’il s’agissait des garde-côtes vénézuéliens. Nous avions décidé de rentrer sur Trinidad. Un quart d’heure plus tard, les garde-côtes de Trinidad et de Tobago sont arrivés. Ils lancèrent leur pneumatique, et deux paramédicaux vinrent à bord. Après cela, deux marins sont venus m’aider à guider Lorna dans la passe entre les îles Chacachacare et Huevos. Là, Bo a été transféré à la station des garde-côtes de Stauble Bay, où une ambulance l’attendait pour l’emmener au centre médical de Saint Clair.  

Les deux marins m’ont aidée à accoster à Stauble Bay. Puis une voiture m’a emmenée à l’hôpital, où j’ai pu parler à Bo et avancer les frais d’hospitalisation. Vers 1 h 30 du matin, je suis retournée à Stauble Bay, où j’ai été interrogée par la police. A la même heure, le Dr Kee Fung a commencé l’opération qui a sauvé la vie de Bo. L’intervention a duré cinq heures.
 
Vivi et Bo Altheden / Traduction P. Flouriot

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